CHRONIQUE
Le classicisme meurtrier
Á PROPOS DE L'EXPOSITION DE CHIRICO au Musée de la Ville de Paris.
Le parcours de Chirico n'est que trop connu des historiens de l'Art. Plusieurs phases se suivent et ne se valent pas. La première, glorieuse, explose inopinément comme une révélation venue d'ailleurs. La novation à l'état pur. C'est la peinture métaphysique. La tête encombrée d'images étranges qui vont de pair avec une poésie d'association d'idées poétiques et étranges (Hebdomeros) mais énonçant un réseau corellé et stable d'évocations. On est à mi-chemin entre le symbole et le rêve. L'imagerie est simple -en apparence - y dominent les thèmes suivants: Une place de Ferrare connue pour ses arcades et au coucher de soleil, lumière de quatre heures, la plus chaude. Au milieu de la place une statue généralement allongée (Ariadne) ou un régime de bananes, ou des personnages masqués. Les ombres sont extraordinairement denses, autant que les palais ou que les statues, sinon plus. Elles sont d'un noir angoissant comme la lumière du crépuscule aux ombres naissantes. La perspective est plongeante, vue d'en haut, ce qui permet de discerner tout au fond un train qui passe en émettant un nuage de fumée blanche. Le train qui passe, souvent des horloges dans des gares désaffectées, signalent l'énigme de l'heure. Une gare aux quais vides, à l'horloge sans doute arrêtée, deux silhouettes enveloppées d'ombre attendent immobiles. Quoi? Nous avons peut être tous ressenti la nostalgie due au contraste entre la beauté ordonnée des arcades et ce train qui inlassablement n'arrête pas de passer. On croit entendre en un écho infini le sifflet émis par la fumée. J'ai personnellement toujour été angoissé et fasciné par les crépuscules. Le Chant de la Terre de Gustav Mahler est impregné de cette "sehnsucht", spleen,mais pas cafard bien au contraire un sentiment d'intense et de poignante beauté nous étreint le coeur. Apparaissent aussi d'étranges mannequins à la tête ovoide traçant des architectures mathématiques dans des tableaux mis en abîme, à l'infini, comme deux miroirs qui se répondent.
Le plus impressionnant et le plus célèbre de ces tableaux est sans conteste le Portrait de Guillaume Apollinaire, acquisition magistrale des Musées Nationaux. On y discerne un buste de marbre, affublé de lunettes noires et représentant prophétiquement le sort du poète gazé.
Le moment de stupeur créatrice est passé, les places s'encombrent de mannequins, d'objets issus de la période géniale. On tend vers un clacissisme d'intentions. A la fin de cette période, on se rapproche de plus en plus de modèles classiques. De Chirico visite beaucoup de musées et en tire des leçon de "belle peinture", une nostalgie des époques bénies des grands peintres.
Dans une troisième partie de son oeuvre, Chirico est parvenu à copier les oeuvres de peintres anciens, il crée ainsi un musée de faux Rubens, Fragonard, etc. Qui sont un clou impressionnant et décevant de l'exposition. Car la copie se rapproche dangereusement du pastiche. Il excelle cependant dans l'autoportrait.
Dans la dernière partie de son oeuvre, Chirico finit par se copier lui-même. En voulant reconstituer la période métaphysique, il ne fait qu'accentuer son manque d'inspiration. Ces "faux Chirico" reprennent tous les thèmes passés, souvent servilement, mais le mystère de l'heure ne fonctionne plus. Le nuage de fumée est devenu un petit nuage drôle comme un chou-fleur. La matière est tellement légère qu'elle risque d'être prise pour une gouache. L'explication il la donne lui-même : tout cela n'a aucune importance et la peinture métaphysique n'est qu'un passage dans sa vie. Mais les dernières années, quel désastre! Des chevaux faits de palais grecs, des personnages figés mais sang poésie. Chirico a retiré de son expérience des anciens du mal peindre. C'est mauvais et répétitif.
Cette triste régression (ou rétrogression) nous conduit à nous poser des questions, qui seront traîtées dans le corps de ce billet.
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