CHRONIQUE
ART ET EGO
La plupart des imaginatifs sont doté d'un égo puissant. Leurs oeuvres leur apparaissent comme des créations majeures et tout leur parait tourner autour de leur mission nécessaire à l'humanité.
Ceci n'est pas grave lorsqu'il s'agit d'entrepreneurs, de scientifiques, de hauts fonctionnaires. La réalité les garde de sombrer dans la mégalomanie. Un bilan, un chiffre d'affaires, une découverte reconnue, le prix Nobel, la médaille Field, ce sont choses concrètes, réelles, reconnues par la multitude et qui vous placent au sommet de la hierarchie sociale. Même les artisans ont un point d'ancrage solide : leur métier.
Mais le problème se pose pour les artistes : musiciens, poètes, peintres. Leurs critères de jugement sont évanescents, flous, propices aux illusions. Tous se prennent pour des génies, autrement ils n'embrasseraient pas leur carrière. Dès que cette certitude vient à manquer, leur raison de vivre disparaît et comme Nicolas de Staël ils se suicident. Ou alors, ils se résignent comme Hector Berlioz, Rodchenko qui signa "le dernier tableau", ou encore Rossini qui échangea la création d'un tournedos contre celle du Mariage de Figaro.
Je me souviens de mes rencontres avec Le Yaouang peintre exposé l'espace de quelques semaines chez Maeght, sa fierté d'être ainsi publié sans le catalogue "Derrière le miroir" de la célèbre galerie. Il multipliait les déclinaisons d'une recette originale, en faisait des timbres poste, un ouvrage luxueux, il se ruinait et faisait vivoter sa femme, pour se prouver à lui-même son talent.
LE PROBLÈME DES AVANT GARDES EXTRÊMES
Un de mes amis se vit proposer un superbe penthouse Avenue Gabriel vendu luxueusement meublé et agencé. Il demanda si le tableau faisant face au lit était compris dans le prix. Il représentait un grand Warhol représentant un dollar, un immense dollar stylisé, nu et simple, rien d’autre que le symbole familier : $ . Vous pensez, s’écria l’agent immobilier, ce tableau vaut plus que l’appartement !
C’était le dollar le plus cher du monde, devant lequel on se prosternait, comme jadis devant la Sainte Vierge ou le Crucifix. Mais penser qu’il valait plus cher qu’un chef d’œuvre de la statuaire gothique ou qu’un tableau de Filippino Lippi a de quoi hérisser les uns, désorienter les autres. Jeff Koontz doit se poser la question qui utilise l’argent gagné avec un lapin géant ou un pornoktisch, pour acheter de beaux incunables chez Stéphane Clavreuil.
Tous les peintres conservateurs, surfant sur la médiocrité, flattant le goût de l’aristocratie inculte, se comparent à cette avant-garde absurde, et en tirent légitimité et fierté. Ainsi, je dinais l’autre jour avec un jeune artiste qui inonde le parc du château de Divonne d’agréables sculptures de bronze un peu kitsch. Il s’enflamma en évoquant celles de Koontz, de Carl André ou de Murakami. Il les compara au travail laborieux et parfaitement lisible par ses clients. Ces gens à qui il faisait la cour, dirigeaient les Relais du Bonheur, et en garnissaient les halls d’accueil et les bureaux de la banque qu’ils présidaient, ou encore, séduits pas la faconde du jeune sculpteur, convaincu de son génie et en persuadant les riches qui l’invitaient sur leur yacht.
Tout le problème git là. Il n’existe aucun moyen rationnel qui puisse évaluer la qualité l’importance d’une œuvre et les experts les plus chevronnés ont pris le « bozzetto » sublime du Roi David de Michel Ange pour un faux, et les médiocres Meegeren pour de vrais Vermeer. Il s’ensuit que lorsqu’un artiste, célèbre ou inconnu, se prend pour un immense génie (ce qui arrive de toute façon) il peut être soit lucide soit mégalomane.
DU BLOG NOTES
A PROPOS DE JULIEN GREEN
Ce nouveau journal que je me propose de tenir le plus régulièrement qu’il me sera possible m’aidera, je crois, à voir plus clair en moi-même. C’est ma vie entière que je compte mettre en ces pages, avec une franchise et une exactitude absolues… Que deviendra ce livre ? Je n’en sais rien, mais ce sera pour moi une satisfaction de penser qu’il existe. … Je ne suis pas, je n’ai jamais été tout à fait l’homme du journal que j’écris.
… Tout mon effort est d’écouter le disque dès qu’il a commencé de tourner.
Robert de Saint Jean, lucide commentateur et à qui je dois les lignes qui suivent, nous explique : Telle est la démarche du romancier, mais il en va tout autrement pour les souvenirs. Point d’effort, ma mémoire parle d’elle-même, on n’éprouve aucune peine à retenir la vie au passage. … Tout diariste (B.L :un mot que je ne connaissais pas et qui rappelle : diari dei tempi d’innocenza)veut faire reculer la mort. Revivre, la plume à la main, les heures évanouies fait vivre avec plus d’intensité et aide à mieux se comprendre soi-même. …
LA CRÉATION
(Le jeune homme décrit dans le journal « prépare ses orages ». Rien ne saurait distraire « l’ensorcelé », rien ne peut troubler l’attention qu’il prête à cette sorte de dictée intérieure qu’il entend en lui. S’il fait peu de corrections à son texte c’est qu’il effectue ses ratures mentalement, le porte-plume longtemps suspendu avant la découverte finale du mot juste. … Revient sans cesse l’interrogation capitale : « Ce que j’écris ne peut-il venir que de moi ? Est-ce que j’apporte vraiment quelque chose de nouveau ?... »
B.L. : Si je me réfère à mon activité d’écrivant, (horrible terme fleurant mauvais le structuralisme, mais que dire d’autre ?) le Blog est mon journal de même que d’autres textes qui précèdent où et « où je fais du journal sans le savoir ». En revanche L’entretien – Apocalypsis cum figuris – est l’équivalent d’un roman visionnaire. Cependant il naquit sans but, dans l’obscurité, dans un état de semi-torpeur. Ce n’est qu’au moment où il naquit au Département des Manuscrits Anciens de la BNF, que je m’avisai de son existence, de son ampleur, de la nouveauté de sa forme. Alors se posa la question cruciale de Julien Green « Ce que j’écris ne peut-il venir que de moi ? » la réponse fut incontestablement positive. Lorsque je montrai pour la première fois le poème « invocation à l’océan », à un professeur de littérature au Lycée alsacien, au metteur en scène Laurent Azimioara, et à un compositeur ami de Brigitte Jaques, tous me dirent d’un air gêné : on ne peut changer un seul mot à ce que vous avez écrit, cela ne peut venir incontestablement que de vous. Et ils se détournèrent. Je ne les revis jamais plus.
Je compris alors le sens de l’angoisse de Julien Green : « Est-ce que j’apporte vraiment quelque chose de nouveau ? ». Là encore la réponse était positive, mais ne dissipait pas le doute. La bonne formulation était plutôt : « Est-ce que ça vaut quelque chose ? N’est-ce pas du travail d’amateur ? L’innovation qui consiste à transposer à notre époque ce que William Blake accomplit avec génie, en utilisant des moyens désuets : l’écriture humaniste, une imagerie celtique, un style correct mais peu spécifique, n’est elle pas dérisoire et indigne de figurer dans le lieu auguste où dorment tant de chefs d’œuvre ?
Saint Jean déclare que c’est un terrible effort de produire quelque chose où il n’y a rien, cette quête du sourd qui essaye d’entendre, et c’est ce que je ressentais en couvrant une nouvelle feuille en papier peau d’éléphant. L’Entretien se projetait ainsi, spectral, de page en page, ménageant une perpétuelle surprise, faisant naître de la surface moirée des paysages inédits, des mirages venus du lointain.
En revanche dans le journal, aujourd’hui l’impression du Blog en fascicules, la relation des évènements s’effectue au courant de la main, dans l’instant.
MINGEI , DERNIÈRES ACQUISITIONS
Sensible à mes observations Philippe Boudin a déniché deux pièces exceptionnelles détrônant définitivement Robert Montgomery : une enseigne en terre cuite représentant un chat vous invitant à entrer inférieure en taille à celle du leader (57cm) mais une véritable sculpture tri-dimensionnelle et non une simple effigie; une extraordinaire sculpture représentant trois tortues se chevauchant, un tour de force incroyable. Félicitations à M.Boudin.
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