CHRONIQUE
LE GRAND ÉCART
Le sujet général de cette chronique a trait à la tendance du monde à pratiquer le grand écart entre le presque zéro et le quasi infini, écart qui échappe à toute logique.
UNE ANOMALIE MUSICALE
Prenons l'exemple très médiatisé de la découverte d'un manuscrit de Mozart, présenté comme un événement majeur. Un intéressant article lui est consacré par Christian Merlin qui à juste titre déplore la publicité faites autour de deux pages composées à 7 ou 8 ans. Cette partition a certes un intérêt pour un collectionneur d'autographes musicaux et un historiographe pointu, mais n'apporte aucune connaissance sur le compositeur, qui ne devait prendre sa personnalité qu'environ dix ans après. Mais paradoxalement le Figaro illustre une des pages par une grande image en couleur qui ne peut intéresser qu'un graphologue spécialisé dans les notations musicales.
Malheureusement un curieux phénomène de cécité musicale frappe M.Merlin. Avec complaisance il cite les principaux exemples de manuscrits sans intérêt mis sur le marché : en 2001 une minute de musique manuscrite de Beethoven acquise par la fondation Bodmer pour 400.000 FS . Cet achat était justifié en tant qu'autographe que collectionne la fameuse fondation dédiée à l'écriture. Pour le reste, M.Merlin cite des oeuvres sans intérêt de Puccini, de Sibélius, de musique baroque. Mais dans tout ce fatras pas un mot sur les fragments retouvés et joués par Wynn Morris, de la Xème Symphonie de Beethoven. Cette oeuvre a une importance fondamentale à plus d'un titre. Elle prolonge la tendance du dernier quatuor à aborder de nouveaux rivages. La Xème on l'a dit dans ce blog, fait plus qu'annoncer un changement de style. C'est d'un changement de compositeur qu'il faut parler, un Beethoven II qui est l'antithèse du Beethoven que nous connaissons et qui donne une idée de l'extraordinaire transformation initiée par le compositeur, dont l'esprit fourmillait de projets jusqu'au dernier souffle. Mais il y a autre chose : il fut à mon avis manquer de coeur, d'empathie, être musicalement sourd pour ne pas être ému jusqu'aux larmes par cet adagio qui tourne en spirale autout d'un chant qui développe la charge affective qui a valu la célébrité de l'adagio de la Sonate Pathétique. Mais quel progrès, quelle évolution admirable... la mélodie et les cercles concentriques qu'elle trace dans l'étang étal d'un orchestre épuré, musique empreinte de douceur, de résignation, dépourvue de toute emphase, est aux antipodes de tout développement, de toute dialectique, de tout ce qui caractérise Beethoven I. Lorsque le disque (en fait les disques, car il y eut deux interprétations, dont seule la première réussie) fit son apparition on aurait pu s'attendre à une couverture médiatique bien supérieure de celle dont les deux morceaux de Mozart ont bénéficié. Au lieu de cela, un silence gêné, de critiques aigres, une censure totale. Je compris que les musicologues et les critiques musicaux, ne voulaient pas admettre un Beethoven aussi hérétique, détruisant un modèle inscrit dans leur inconscient. Je suppose que c'est ce même ostracisme qui a poussé M. Merlin à occulter cette partition même parmi les oeuvres mineures. Triste.
Par ailleurs, très justement Christan Merlin fait observer le grand écart qui existe dans l'univers médiatique, entre la popularité d'oeuvres faciles et l'engouement pour d'autres réservées aux musicologues les plus pointus. A Radio Classique il est plus facile d'entendre des baroqueux médiocres que des sonates de Beethoven !
50° D'ÉCART
C'est celui que l'on vante entre les 45° à l'ombre de la piscine extérieure d'un grand hôtel de Dubaï et les -5° de la station de ski ou la patinoire de l'intérieur, où on vous donne des parkas et des fourures pour vous empêcher de geler.
Je me suis déjà indigné dans ce blog : en été par 35° à l'ombre, il faut se couvrir lorsqu'on entre dans un magasin ou un hôtel où l'air conditionné abaisse la température à 18°. En hiver, phénomène inverse : par une température extérieure de 0°, il faut supporter des magasins et des hôtels surchauffés à 28°.
ÉCARTS ARCHITECTURAUX
Restons-en à Dubaï, futuriste sanctuaire pour très riches sans culture.
Les bonnes âmes qui s’indignent à la vue de ces bourgeois qui conduisent une voiture sans passagers, pour eux tous seuls, ou qui utilisent des motos au lieu de bicyclettes et les exhortent à se priver d’air conditionné par 35° à l’ombre, ressemblent à ces écologistes fanatiques américains qui réclament un monde sans confort tout en bénéficiant d'un écart absurde et mauvais pour la santé, de 15° entre l’extérieur et l’intérieur.
Mais ce n’est pas encore le grand écart. Il appartenait aux émirs arabes de s’en approcher à Dubaï, où la pire provocation fait figure de publicité. « Vive le gaspillage climatique, vive la démesure, à bas les équilibres naturels » semblent-ils dire. Et croyez vous qu’une de ces croisades promptes à nous fustiger les clouent au pilori ? Non. On détourne pudiquement la tête.
LE PARADOXE BERLUSCONI
A propos de Silvio Berlusconi, le journal "La Tribune de Genève" s’interroge sur le grand écart entre sa côte de popularité dans son pays, en dépit de ses frasques et l’unanime antipathie de la presse internationale.
Il y a évidemment des succès là où la gauche a échoué à répétition, en premier lieu la gestion des urgences : l’organisation réussie du G8, la gestion efficace du tremblement de terre d’ l’Aquila, la diminution des immigrés clandestins… C’est de plus un archi-italien comme un prince de la Renaissance, la culture en moins, la grossièreté en plus. Mais on n’est plus à l’époque de Dante ni de Michel-Ange. « Les reality shows et les navets battent tous les records d’audience, les librairies sont désertes et le Milan AC compte plus que la Scala. Berlusconi est le reflet de cette Italie-là. »
Charles Poncet, un Italien de Genève vise juste quand il écrit « Les Italiens sont un vieux peuple sophistiqué et cynique. Ils préfèrent Berlusconi à la gauche et au diable les histoires d’alcôve. Il a l’appui d’une majorité, qui le trouve moins mauvais et pas plus pourri que ses prédécesseurs. »
A propos de Silvio Berlusconi, la revue s’interroge sur le grand écart entre sa côte de popularité dans son pays, en dépit de ses frasques et l’unanime antipathie de la presse internationale.
Il y a évidemment des succès là où la gauche a échoué à répétition, en premier lieu la gestion des urgences : l’organisation réussie du G8, la gestion efficace du tremblement de terre d’ l’Aquila, la diminution des immigrés clandestins… C’est de plus un archi-italien comme un prince de la Renaissance, la culture en moins, la grossièreté en plus. Mais on n’est plus à l’époque de Dante ni de Michel-Ange. « Les reality shows et les navets battent tous les records d’audience, les librairies sont désertes et le Milan AC compte plus que la Scala. Berlusconi est le reflet de cette Italie-là. »
Charles Poncet, un Italien de Genève vise juste quand il écrit « Les Italiens sont un vieux peuple sophistiqué et cynique. Ils préfèrent Berlusconi à la gauche et au diable les histoires d’alcôve. Il a l’appui d’une majorité, qui le trouve moins mauvais et pas plus pourri que ses prédécesseurs. »
L’anniversaire d'un condottiere à l’accession au pouvoir.
LE GRAND ECART POUTINE
Il est venu au pouvoir comme au hasard. Rien ne prédisposait ce fonctionnaire des services secrets à prendre la succession des Eltsine et des Gorbatchev. De petite taille bien que rompu aux arts martiaux, il n’était pas particulièrement charismatique : un homme froid et volontaire, n’éveillant pas la sympathie.
Et le voici devenu le plus grand condottiere de la Russie qui n’en manque pourtant pas. Il a créé son remplaçant, Medvedef dont en pensait qu’il prendrait goût au pouvoir et finirait par écraser son premier ministre, la fonction faisant l’homme, et disposant d’un clan puissant. Mais son ombre n’a cessé d’obscurcir l’éclat de son rival.
Jusqu’ici, la Russie passait par une période de vaches grasses et on lui attribuait ce succès, dû à une poigne de fer et à une politique nationaliste. Mais les vaches maigres ont succédé et servent de révélateur aux carences criantes du régime. A corruption, un chaos généralisé, le grand écart entre les richissimes et gaspilleurs oligarques et une population qui ne cesse de diminuer, et dont l’espérance de vie baisse régulièrement.
Poutine agissant en bon tzar, et utilisant son patron théorique comme court-circuit, s’en
est pris en un premier temps aux oligarques désobéissants. L’un a fini en Sibérie,
d’autres en exil, les derniers font leur cour et tremblent. Le peuple pourrait lui attribuer sa misère et ses résultats économiques désastreux.
Mais là ne se situe pas le grand écart. Il a réussi à concilier la tradition soviétique et l’héritage soviétique, pôles extrêmes impossible à faire coexister. Il célèbre la saga héroïque de ka seconde guerre mondiale, révère l’Eglise orthodoxe, fait le grand écart entre l’aigle impérial à deux têtes et l’hymne soviétique et en définitive représente une large fraction des croyances populaires.
Mais il n’en est rien. Jamais le Tzar n’a été aussi puissant, aussi respecté, aussi populaire. Cela est sans doute dû au fait qu’il est archi-Russe, qu’il incarne les rêves d’un peuple jadis pissant et cultivé. Grâce à lui, la Russie a repris sa place parmi les grandes puissances.
Mais là ne se situe pas le grand écart.
Il réussit à enjamber les deux pôles les plus distants qui soient : la tradition tsariste et l’héritage soviétique. Il célèbre les actions héroïques de la Seconde Guerre mondiale, honore l’Eglise Orthodoxe, rétablit l’aigle impérial à deux tête et l’hymne soviétique et par là il est assez représentatif aux croyances populaires. Détesté par les intellos européens, il est relegué hors de l’Europe et se tourne dès lors vers la Chine, l’Inde, voire l’iran. .