Les trois d de la désinformation : décontextualisation, diabolisation, dissymétrie.
Patrice de Méritens du Figaro Magazine est aujourd'hui venu m'interviewer sur la campagne présidentielle. Cela me fait aujourd'hui deux premières: je m'improvise professeur d'orthographe pour les jeunes hyperdoués du net, je suis investi du rôle d'augure politique, alors que je me suis tenu jusqu'ici tenu à l'écart des discussions politiques qui me donnent de l'urticaire. J'ai horreur de la politique, et elle me le rend bien.
Bien entendu, je plaisante; en fait monsieur de Méritens qui venait de lire Virus a eu l'idée d'en appliquer les principes au décodage des discours de campagne. Comme je me tenais sur un registre théorique il me poussa à donner des exemples concrets. Ne voulant pas me mêler de politique, j'essayai d'aider ses lecteurs à tester par eux-mêmes le taux de désinformation des discours électoraux.
La question qui se pose est la suivante : puisque d'après ma définition de la désinformation, plus on creuse et on essaye de vérifier les faits, plus on l'aggrave, (la désinformation ment surtout quand elle dit la vérité), comment la déceler et en évaluer la gravité?
Remontons au processus de la désinformation. On ne touche pas aux données factuelles, on choisit soit des faits qui sont hors de portée, dont on peut inutilement rechercher la véracité, soit des données factuelles qui abondent dans notre sens. Dès le début la sélection est un premier agent de désinformation. Mais il est indétectable pour qui ne dispose pas de moyens de recherches importants. Il est difficile de trouver ce qui est omis sans avoir une connaissance générale des évènements. C'est comme sortir du contexte un mot ou une phrase.
Ainsi le fameux mot "racaille" a été attribué à Nicolas Sarkozy comme une attaque des "jeunes des banlieues" et par extension aux originaires d'Afrique. Il n'y avait qu'un pas de ce mépris, au racisme : il y a nous, les blancs, les forces de l'ordre, et eux, les noirs, les maghrébins, les beurs, la racaille à nettoyer au karcher, propos rappelant singulièrement Hitler. Cete réduction ad hitlerum est devenu un processus banal depuis quelques années. Exactement comme les mots travail, famille, patrie, désignant normalement des valeurs positives mais frappés du sceau de l'infamie pétainiste. Et voici donc, Nicolas Sarkozy, le chasseur de racaille, devenu le serviteur du travail, de la cellule familiale, et de la limitation de l'immigration pour sauvegarder l'identité française. Tout comme Le Pen d'ailleurs.
Le processus de décontextualisation n'est pas apparent, sinon tous les journaux et les organes d'opposition ne se seraient pas emparé des mots tabou pour abattre leur adversaire. Racaille n'a jamais été prononcé par le ministre de l'intérieur, mais par une pauvre femme des quartiers chaud, lasse d'être terrorisée par des bandes vouyous manipulés par des pourvoyeurs de drogues et de voitures volées. "Monsieur Sarkozy, débarrassez nous de cette racaille ! " Le piège était dressé et le ministre dans le feu de l'action a répondu, Oui, Madame, je vous débarrasserai de la racaille". Ce en quoi il avait parfaitement raison. Le mise hors contexte a permis de substituer de nouveaux contextes, par glissement sémantique. Voyous manipulés par des gangs et détruisant les biens des habitants des banlieues (en majorité des beurs, des arabes ou des noirs bien pacifiques), et faisant de ces territoires une chasse gardée, devenaient jeunes voyous d'origine africaine, puis jeunes d'origine africaine, puis, population démunie d'origine africaine et jeunes tout court.
Une caractéristique des noeuds sémantiques totalitaires (nazisme, catholicisme du moyen âge, communisme, trotzkisme, islamisme, chauvinisme) est la diabolisation de l'adversaire. La structure du noeud "impérial" et des virus qu'il implante dans l'inconscient des populations explique cet emploi presque théologique de la diabolisation. Le virus impérial consiste en effet en un principe transcendant (Dieu, Allah, le Peuple, le Volk, le prolétariat) valable éternellement et universellement, et représenté sur terre par un homme (le Pape, l'immam, le président, le fuhrer, le guide suprême) et une équipe de militants (les prêtres, le parti), une hiérarchie véhiculant le message aux fidèles (les dix commandements, la Bible, l'Evangile, le petit livre rouge, le Capital, Mein Kampf, le Coran,) . la communauté des fidèles (les camarades, les patriotes, les aryens, l'oumma) est égale et vertueuse devant le bien suprême. Ceux qui sont étrangers à la communauté, doivent être asservis (les dhimmis, les colonisés, les esclaves) ceux qui la combattent et qui nient le principe transcendant sont menés par le diable, principe aussi universel et intemporel que Dieu, et doivent être convertis (ou mieux exorcisés) ou supprimés. Sartre, cette grande conscience occidentale, écrivait ainsi "les anti-communistes sont des cheins", "pour un européen tué, on supprime un oppresseur et un opprimé", et pour faire bonne mesure trouvait que la terreur et Castro n'avaient pas fait couler assez de sang.
Lorsque des discours, des prises de position, laissent clairement transparaître la diabolisation de l'adversaire, c'est qu'une tyrannie n'est pas loin. Il suffit que des mots anodins, voire positifs soient prononcés par l'adversaire N°1 (Le diable)pour qu'ils deviennent maudits. Si l'adversaire N°2 (le suppôt du diable) les prononce, il révèle ainsi son obédience satanique. La diabolisation procède ainsi par contamination. La valeur d'une assertion ne dépend que de son origine. Elle n'a pas de valeur en soi. La construction d'écoles, de ponts, d'hôpitaux, est condamnable, (ou passée sous silence) lorsqu'elle est oeuvre des colons, la destruction de ces écoles, de ces ponts, des hôpitaux est pardonnée (ou passée sous silence) lorsqu'elle est perpétrée par les anticolonialistes, qui ne font que détruire l'héritage maudit. C'est une destruction regrettable, meurtrière, barbare, mais nécessaire pour qui veut la révolution.
On en arrive au troisième processus, encore plus facile à identifier : la dissymétrie et son contraire les fausses fenêtres. La dissymétrie (ou assymétrie) consiste à avoir deux poids de mesures. On condamne la paille chez l'adversaire et on clame bien haut la faute impardonnable, on tolère, ou on passe sous silence la poutre chez l'allié, ou on trouve des excuses, en la qualifiant de dérapages, de bavures nécessaires, d'erreurs de jeunesse, d'excès regrettables.
Les fausses fenêtres consistent à donner la même valeur et le même retentissement médiatique à la paille de l'adversaire et à la poutre de l'allié. Cette fausse symétrie est satisfaisante pour la rhétorique, elle donne une impression de justice, d'objectivité, de pluralisme. Une manipulation fréquente consiste à interviewer des gens "pris au hasard", mais en réalité sélectionnés d'une manière particulière. Un exemple patent en est l'auditoire, sélectionné pour les candidats à l'élection présidentielle par Patrick Poindre d'Arvor. On ne fera croire à personne, sauf aux imbéciles ou aux fanatiques, que la sélection de la SOFRES représentait la France. On aura noté que Sarkozy s'est trouvé face à des individus haineux et aigris qui l'ont entraîné dans les pièges de l'homophobie, ou encore dans des querelles entre musulmans algériens et marocains. Il n'a eu que peu de questions sur ce qui importe : les moyens de permettre, puis d'encourager, les français à travailler plus.
En revanche Segolène Royal a eu un public dégoulinant de sympathie, avec un épisode médiatique "émouvant", certes plus que la dette de notre payse. Le compassionnel l'emportait et on entendit des applaudissements.
Sur la question du positionnement des candidats, je me suis déjà exprimé dans un article. (voir à "décodage des médias). En faisant court voici mon point de vue :
Nicolas Sarkozy : Yang, (combatif, énergique, directif,montrant la direction), Force de la terre (ordre, sécurité, travail, propriété individuelle, identité nationale, accès à la propriété de son logement, respect des traditions, méfiance envers l''étranger (la Turquie, la Russie), Matrix (libéralisme, adhésion au système libéral anglo-saxon, mondialisation); Il adopte un langage vernaculaire (le café du commerce) de bon sens et empreint de pragmatisme ou référendaire (celui des chiffres et des statistiques)
POSTURES
Il vaut mieux qu'il ne sourie pas : ses dents sont limées. Il parait agressif, mais dans la vie courante il est plutôt accomodant et aimable, sans agressivité mais tenace. (J'ai aussi un coeur mais par pudeur je n'aime pas les épanchements sentimentaux). Lorsqu'il parle en langage référendaire, il donne des leçons ponctuées par un geste de la main, pouce et index formant un o.
Ségolène Royal : Yin (maternelle : "je suis une maman" , compassionnelle, apparemment non directive (je veux ce que veulent les français, ils me disent ce qu'ils désirent, et je le veux aussi), soucieuse du quotidien et de la vie des démunis et des malheureux (malades, handicapés, pauvres, sans papiers, immigrés), contre la répression, et pour la protection des faibles contre les forts, féministe. Son apparence et son image vont dans ce sens. Médusa (égalitarisme et égalité non seulement des chances mais même des résultats, travailler moins et gagner plus, protection sociale, travail vécu comme une punition : retraite à soixante ans, , indifférence absolue aux réalités économiques propres à la gauche, dirigisme, chasse aux entrepreneurs, utopie, verbalisme, tolérance pour les délinquants, accent mis sur la prévention contre la répression des criminels, même multirécidivistes, foi dans la créativité collective). Temporairement, pour des raisons électorales essaye de prendre des voix à Le Pen (Force de la Terre) Elle n'ose pas en public prendre la défense du mariage et de l'adoption homosexuelle, prône la protection des artisans, et l'allègement fiscale des petites entreprises créatrices d'emploi, le relèvement de la retraite des petites gens. Mais c'est une posture ainsi que le montrent ses déclarations à des groupes gays, dont Têtu. Royal adopte un langage soit vernaculaire (celui de tous les jours) soit mythique (je suis la France du travail, quand je serais élue je ferai... Jeanne d'Arc investie d'une mission).
POSTURES
Elle sont stupéfiantes. Elle apparaît toujours souriante, sûre d'elle même, ne se démontant jamais, consensuelle, regardant son interlocuteur avec gratitude (merci d'être là, merci pour votre question, c'est une très bonne question) avec compassion (elle enlace les épaules, regarde dans les yeux) avec empathie, elle renvoie les plus stupides avec le sentiment d'être importants, d'avoir été compris. Par ailleurs elle est très élégante, très digne, avec une posture rassurante, consolante. Mais c'est une posture trompeuse. Ceux qui la connaissent, savent qu'elle est très dure, méprisante envers les petits (comme l'était Martine Aubry, je le sais par des chauffeurs que j'ai employés après elle), fanatique et têtue. On a du mal à le croire, tant elle apparaît pleine de douceur et de tolérance. Mais je l'ai vue dans une bande télévisée, en train d'insulter Sarkozy, et j'ai été effrayé. On voyait une femme, plus jeune certes, mais déchaînée, agressive, militante fanatique, la personnification de la pasonaria, une furie! Et j'ai compris.
François Bayrou
Si Nicolas Sarkozy, le faux agressif Yang et Ségolène Royal, la fausse tolérante Yin, représentent la bipolarisation de la France pour le meilleur (le combat dialectique entre majorité et opposition) comme pour le pire (la fracture sociale), et ont chacun une vision claire de la manière dont ils entendent conduire la France, toujours pour le meilleur et le pire, Bayrou n'a pas d'autre programme qu'une stratégie électorale simple : gagner des voix à gauche et à droite. Au second tour, s'il y parvient, les adversaires de Sarkozy, comme ceux de Royal voteront pour lui, calcule-t-il avec raison.
Bayrou veut faire cohabiter le Yin et le Yang sous un même toit. Sa cohabitation est voulue, elle est programme en soi, alors que Chirac se l'est vue imposer. Il faut être irréaliste pour s'imaginer que cela puisse aboutir à autre chose qu'à une paralysie et à des crises gouvernemantales à répétition, un retour à la Quatrième République dans une France amollie et démoralisée.
Le pôle sémantique qui oriente Bayrou est en grande partie Medusa (promotion et respect de la culture, laïcité promue au rang d'une religion, programmes scolaires sous la coupe des syndicats, dont on feint ignorer qu'ils obéissent à d'autres engagements que l'éducation des élèves).
POSTURES
Il présente bien. Il est consensuel, apparaît comme modéré, l'image même du centre que désirent les français las d'une guerre entre gauche et droite, d'une férocité idéologique inconnue chez nos voisins, et sans le garde-fou d'un sentiment patriotique, réfugié dans la droite radicale et excommunié des médias. Il n'y a rien à en dire, c'est un leader in absentia. Le fait qu'il ne connaisse pas grand chose aux réalités concrètes de la population comme de la négociation internationale, n'a pas d'importance. Sa force résulte sur un calcul électoral, et le vide n'a pas d'ennemis. Au début Royal incarnait ce vide, mais elle a été surpassée par Bayrou qui lui a enlevé des voix.
Le Pen
Yang. Il incarne Force de la Terre régressive, déculturée, myope, celle du XIXe siècle. C'est de ce fait l'ennemi structurel de Médusa (la gauche intellectuelle) dont il représente le parfait négatif, au sens photographique du terme. Comme Force de la Terre, il parle vrai, sens commun plutôt que bien sens, et profite de la dérive idéologie de gauche et de la langue de bois de droite, pour attirer la fameuse majorité silencieuse. Sa médiocrité intellectuelle le dessert, mais il est le seul à appeler un chat un chat. Il est tellement diabolisé, qu'il suffirait qu'il proclame que la majorité des français est blanche et de culture judéo-chretienne, pour qu'on hurle au nazisme.
Son talent d'orateur humoristique est du au fait qu'il fait ressortir le décalage entre la réalité que tous constatent et la maquette politique et médiatisée qu'on nous propose à longueur de journée. Lorsque Chirac a fait ses adieux "émus", se vantant sans vergogne de l'état merveilleux dans lequel il a laissé une France, devenue grâce à lui (et à nous), digne d'admiration et de fierté, le Pen a été le seul à dire en rigolant, ce que tous savent fort bien. Les autres candidats ont timidement assuré qu'avec eux les discours du Président sortant, se transformeraient en actions.
Le Pen partageant avec Sarkozy les valeurs de force de la terre, (le travail, la sécurité, la liberté d'entreprendre), Medusa en a profité pour diaboliser ce dernier, en se gardant bien de faire ressortir les différences (le repli frileux, l'antisémitisme et le racisme latents, le non à l'Europe, le rejet de Matrix et de l'islamisme, la phobie de l'étranger). Le Pen amène de l'eau à Medusa, en présentant Sakozy comme un émule, comme si les valeurs travail, ordre, famille, étaient sa propriété intellectuelle.
J'aimerais bien avoir vos commentaires, car je ne suis qu'un néophyte en matière de politique, et qu'on peut considérer toute cette campagne comme une pièce de boulevard, indigne d'une nation aussi fière et admirable que l'affirme son président.
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Suivi: Apr 04, 19:39