CHRONIQUE
L'Europe, un concept creux?
Tout porte à y penser. Hier j'ai reçu la visite un homme remarquablement lucide, grand homme d'affaires habitué à parler net et - il faut le dire - un peu fanatique et imbu de chiffres. Il a échoué dans ses exposés auprès du Pouvoir et ne peut dialoguer qu'avec des experts et des techniciens. Je lui ai expliqué un certain nombre de clés pour être supportable par ceux qui nous dirigent et qui ne sont pas des experts ni des logiciens.
Tout d'abord condenser sa pensée selon la loi des 20/80. Limiter son propos aux 20% en quoi réside la substantifique moelle. De toute façon, au delà (loi de Russell Ackoff) le discours perd de sa force. Qui veut trop prouver ne prouve rien. Notre homme, sûr de la force logique et comptable de ses propos (et elle est indubitable) ne prend pas la peine de se mettre au diapason d'un politique et encore mieux de ceux qui nous gouvernement et dont dépendent bien des décisions et ne nous épargne pas un maillon de sa démonstration. Ce qui aboutit à un paradoxe : si ceux à qui nous nous adressons ne comprennent rien à rien et ne sont capables que de discours creux et de fausses manoeuvres, pourquoi essayer de les convaincre? Et si "après tout ça peut être utile" (formule de rhétorique qui révèle une mauvaise attitude envers des décideurs hyper-occupés ) pourquoi ne pas se mettre à leur niveau de langage? Mais mon ami n'a pas pratiqué la sémantique de Hayakawa, le maître de la discipline, il fait des affaires, il veut que l'Europe existe, qu'elle ferme ses frontières et cesse d'obéir aveuglement aux diktats d'un pays en faillite vivant au dépens du monde entier (les USA) et imposant à ses victimes consentantes sa loi. Tout cela risque de mal finir dit-il et il a raison.
Toutes ces réflexions m'incitent à consacrer un billet à l'enseignement de S.I. Hayakawa, d'autant plus qu'il est introuvable en France et - je crois - même pas traduit !
En attendant, on ne perd jamais rien si un haut personnage sur-occupé vous accorde une heure, de tout lui exposer en vingt minutes, et de lui déclarer " ceci est l'essentiel, inutile d'entrer dans des détails qui ne sont pas à votre niveau. J'essaie de protéger votre temps". Vous vous levez et vous partez, laissant votre interlocuteur satisfait et étonné tout à la fois. Il vous recevra plus volontiers la prochaine fois.
C'est d'ailleurs ce que pratiquaient naguère les américains. Ils vous recevaient rapidement ... cinq minutes ! - et si cela marchait, , régulièrement de quart d'heure en quart d'heure on faisait connaissance. Les responsables de ces réunions interminables qui font perdre leur temps aux trois quarts des gens qui seraient mieux à leur travail qu'à écouter des pros pérorer, feraient mieux de s'en inspirer.
Fallite culturelle
On me fait remarquer la dérive dangereuse de la France. Quand on pense que Besancenot est avec Kouchner un des personnages les plus populaires de Français, on peut légitimement craindre un déferlement de l'extrême gauche post soixante-huitarde, et on sait ce quelle sont ses effets! Pauvre France.
Autre faillite impressionnante, celle de la culture. J'ai relevé déjà que la sympathique rue Louis- Philippe, la rue du papier a été décimée. Mais en passant devant les quais, j'ai jeté un coup d'oeil sur les étalages. Les bouquinistes qui ont fait la gloire et le charme de cette institution bien parisienne, ont disparu ! On n'y trouve plus que des tours Eiffel, des tasses marrantes, des cartes postales, bref, l'équivalent du quartier chinois de San Francisco. De loin, l'illusion de l'abondance et de la variété, de près un vertige de clones : le même boutique répliquée à l'identique des centaines de fois, côte à côte.
Le nouveau Moyen Âge
Nous voici revenus au moyen âge. D'une part la populace qui ne commença à être civilisée que du temps de mademoiselle de Scudery, de l'autre la cour et surtout les moines, qui concentrés sur leur labeur, dans un environnement coupé du monde, édifiaient leurs chefs-d'oeuvre. Aujourd'hui, ce n'est même plus la cour, qui à la différence de jadis ne se préoccupe nullement de culture, mais d'amateurs, de collectionneurs et d'experts, formant un petit cercle fermé et élitiste.
J'essaie de ne pas y penser car je me sens impuissant. Certes "plutôt que de lancer des imprécations contre les ténèbres mieux vaut allumer une petite chandelle", mais cette chandelle risque de mettre le feu aux poudres, ajoute un de mes visiteurs d'hier!
Il faut quand même garder la foi, les choses ne tournent pas toujours comme prévu et les miracles existent. Sur ces mots d'espoir, je vous dis à demain
Votre affectionné Bruno Lussato.