CHRONIQUE
Fin de partie
Comme prévu, la journée qui s'annonçait dure se révéla difficile. Mon partenaire, pourtant aguerri et connu pour son calme olympien, était d'une humeur lugubre, harassé. Il me fit aimablement passer avant tous ses autres visiteurs (venus sans doute lui exprimer doutes et récriminations comme si le gouvernement était responsable de la crise mondiale venue des Etats Unis.) Paradoxalement il me donna des réponses encourageantes et sensées, qui montraient que sa lucidité n'était guère affectée par l'angoisse du temps. Ainsi j'ai remarqué qu'à son exemple bien des hommes nobles et sages, tirent actuellement une hauteur de vues inusuelle en temps deprospérité. Au moment du passage de la droite, j'entendis un de mes clients, tout admiratif de la voiture blindée qui lui était affectée comme président : que d'argent, que d'argent! (Comme ce général de Napoléon pour décrire la mer du nord s'exclama : que d'eau, que d'eau!)
Mais ce surplus d'argent au lieu de susciter des projets pratiques et une énergie juvénile au sein de la population, fut gaspillé en modèles technocratiques et en modèles clientélistes.
Oui, il est vrai que c'est en période d'intense crise, que nous sommes condamnés à sortir par le haut plutôt que de tourner en rond en se lamentant.
Mes clients, et les autres... me pressent tous de me donner une évaluation de la situation générale, et surtout des clés de compréhension.,en se souvenant que jadis je prédis qu'on en arriverait au moment où toutes nos ressources mentales et humaines étant dévorées, la chair arrivant à l'os, on assisterait à une fin de partie. ECHEC : récession et inflations sévères, MAT : toutes les pièces répandues sur le parquet. L'Apocalypse est la description de cette fin de partie où les asymptotes se rejoignent.
Le retour à la case zéro.
Lorsque, avec quelques autres, je mis en garde contre les risques de déferlement liés au gigantisme, et adhérai aux hypothèses des géopoliticiens qui admettaient les scénarios catastrophe, on se moqua de moi. Aujourdhui l'ombre de l'eclipse monétaire se précipite envers nous, comme la vague de froid et de nuit, zébrée d'éclairs, envahit la campagne pendant une eclipse totale de soleil. C'est effrayant à voir mais cela a le mérite de passer très vite. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Nous sommes à présent, sans oser le dire, à l'orée du gouffre. Mais non seulement le scénario-catastrophe est en train de se réaliser selon les modalités "normales" mais il se réalise dans les temp s prévisibles , et même avec un léger retard : le début de l'automne. Le temps s'accélère sans qu'on y prête attention.Le futur est déjà du passé. Les signes avant-coureurs sont tous au rendez-vous : panique, politique de l'autruche, mesures insuffisantes et contradictoires, mensonges et illusion à l'intention des populations.
Il nous faut donc d'urgence envisager les conséquences de la catastrophe, et essayer de retirer notre épingle du jeu.
Cela est d'autant plus difficile, que la globalisation, nous empêche de mettre en oeuvre des mesures locales, que les sanctuaires ont disparu et que le monde est devenu un château de cartes.
Les conséquences sont les suivantes :
1. Disparition du papier, le mot cède à la chose. La valeur intrinsèque l'emporte sur la convention. La remise au pas passe par une réhabilitation du troc.
Mais ne serait-ce pas une épouvantable régression que de devoir en revenir aux débuts du commerce, à l'échange des chameaux et des coquillages?
Il nous reste à créer des monnaies locales, comme au moyen âge, fondées sur des garanties physiques réelles.
2. Nous sommes pris dans un système de rétroaction positive, où l'inqiétude engendre l'angoisse, l'angoisse la peur, le peur la panique, la panique la violence et la guerre. Il suffit qu'un incident se produise et que des déposants veuillent retirer leurs avoirs d'une banque, pour que par un effet de panurgisme, les masses agissent de même, précipitant la faillte du système. Nous connaissons bien la rétroaction positive (ou cercle vicieux) car elle est utilisé e délibérément pour accroître les ventes ou les, économies d'échelle : 2+2 = 5, 5+5 = 15 etc... Plus une firme devient puissante, plus elle devient puissante. (De même, plus un glacier recule, plus il recule). Mais l'économie d'échelle obtenue par la fusion dédifférenciation est ruinée par l'acroîssement des dommages collatéraux. Plus la taille d'un hôpital augmente, plus il est difficile d'en contrôler les déchets et d'en faire respecter les règles. C'est notamment ce qu'a démontré une thèses que je présidais au CNAM est qu'il m'a été interdit de publier.
3. Nous essayons alors de réagir par une boucle de rétroaction négative. Mais pour qu'il y ait protection il faut que le temps écoulé entre la détection de la perturbation et sa compensation, soit très supérieur ou très inférieur à une demi-période du cycle à compenser. C'est ce qu'on appelle l'hystérésis de la rétroaction. Le phénomène est d'une extrême instabilité lorsque la compensation est égal à une demi-période de la fluctualtion cyclique. Or, la source obéit à des cycles irréguliers, et tôt ou tard elle se rapprochera de l'héstérésis proche de la demi-période. La seule parade, qu'utilsent les praticiens professionnels et de compenser les fluctuations au fur et à mesure qu'elle sont détectées (suivi en temps réel, celui adopté par les professionnels) ou par une réponse très longue (on s'assoit sur son paquet d'actions et on les oublie).La pire des attitudes est celle du grand public et des boursicouteurs qui adoptent une position médiane.
Que faire?
Par analogie avec la boucle systémique, on doit convertir ses liquidités et les papiers (actions,obligations) en produits de toute première nécessité et stockables
(riz,eau minérale, conserves) où vitaux (logement inaliénable, moyen fruste et robuste de transport, aide de santé).
Mais un grand nombre de détenteurs de capitaux ne peuvent convertir tous leurs actifs, devenus liquides et indépendants du système monétaire, en boissons ou en chauffage. On estime que bien que la plus grande masse de la fortune mondiale est partie en fumée, il reste dans les coffres comme dans les réserves un nombre considérable de richesses.
Les détenteurs de ces biens ont le choix entre les investir en produits immédiatement décodables et souvent tributaires de la mode (diamants, terrains, matières premières, pieces d'or, tableaux de maîtres célèbres comme Jeff Koons ou Damien Hirst) ou en biens durables qui survivront au bouleversement général. C'est alors que se créent les vraies opportunités.
Mais la deuxième option exige que l'on s'interesse à un champ spécifique de l'art et de la culture : art médiéval chrétien d'avant le XVIIIe siècle, art chamanique des esquimaux et des populations du thibet, bibliophilie humaniste.
Mais lorsqu'on est un amateur, et même un connaisseur, commentse prémunir contre les faux et les oeuvres médiocres? J'ai expérimenté les limites des conservateurs : faux Legers de provenance illustre, fausses peintures chinoises qui envahissent les musées (y compris le musée Guimet) etc. Ce n'est pas que les conservateurs et les experts soient incompétents. Tout simplement ils ne réfléchissent pas assez. Ainsi un makemono superbe de Wang Yan C'Hi que j'ai rendu à son marchand pour cause d'inauthenticité, s'est retrouvé exposé dans une salle aux draperies noires, édifiée pour lui au De Jung Museum du Golden Gate à San Francisco. C'était mon faux, livré à l'admiration de la foule. Lorsque j'en parlai au conservateur, elle reconnut aussitôt son erreur et rejeta le faux qui atterrit au Musée Guimet. Elle était confuse. Je la consolai : "combien de temps vous a-t-il fallu pour jauger ce rouleau? - Un quart d'heure répondit-elle, je me fiais à ma compétence et à mes réflexes. "
Ma recette
Il est un seul moyen à mon avis pour éviter ces chausses-trappes. Acheter des chefs d'oeuvre publiés et indiscutables par leur qualité et leur origine. En voici deux exemples :
Jean Grolier - qui a déjà fait l'objet d'un billet - était le plus grand collectionneur humaniste. Un ouvrage imprimé pour cet immense personnage a toujours fait l'objet de toutes les convoitises, et Louis XIV en a interdit l'exportation. Aujourd'hui, posseder un Grolier honore les plus grandes institutions publiques. La Bibliothèque nationale n'en possède point. J'ai trouvé chez un marchand connu, non pas un mais trois Grolier. Il a fallu des décennies pour arriver à les collecter et leur prix total dépasse le million d'euros. Plus d'un million pour un livre dont la reliure porte la signature illustre atteste la qualité insurpassable de l'ère humaniste. C'est énorme quand on sait que pour le même prix on peut se procurer un magnifique Tàpies, ou un beau manuscrit à peintures du moyen âge. Mais c'est le prix à payer pour la possession d'un objet mythique, qui au cours des siècles conservera son prestige et soulèvera l'admiration des experts, des musées, des connaisseurs.
On m'objectera que ces sommes ne sont pas à la portée du commun des mortels, mais après tout elles le sont pour ceux qui ne se privent pas d'acheter des Vuitton des bijoux, des Chinchillas et autres enviables fariboles, sitôt achetées, sitôt fanées. Ce qui sépare cette "jet set", ces stars à la mode de ces authentiques et perennes chefs d'oeuvre, n'est pas l'argent -ils en ont ces Zidane, ces Dion, ces Halliday et mêmeces Tapie, plus qu'il n'en faut, et nul le s'en offusque. Ce qui leur fait défaut c'est la culture, le désir d'accéder à la connaissance supérieure, aux richesses des civilisations.
Et nous?
Un avocat de mes amis vient d'acheter au Marché aux Puces ou je ne sais dans quelle brocante, un fétiche impressionnant. Il est possible que pour quatre sous il se soit procuré "un masque ayant dansé" un objet authentique, même récent et chargé d'énergie (positive ou négative". Il préfère acheter le terrifiant au joli et au décoratif. Mais il n'a aucune garantie de cette perennité inaltérable et indiscutable d'un Grolier. Il y a même 80% de chances qu'il s'agisse d'un faux, et plus encore, d'un objet sans intérêt. La fascination qu'il exerce sur mon cher avocat, peut tout simplement être la projection de son désir... de trouver à bon compte un objet exceptionnel sans avoir la compétence pour l'évaluer.
Alors ne nous faisons pas d'illusions. Tous rêvent de trouver un Michel-Ange dans leur grenier, de découvrir un jeune artiste qui se révèlera demain un Cézanne, et cela existe en effet, mais exige une chance providentielle et ne nous dispense pas de faire l'économie du "connoisseurship", cette vision aigüe du collectionneur passionné.
Il n'est tout simplement pas possible d'atteindre le royaume enchanté des oeuvres éternelles, pour un prix d'hypermarché.
Mais il n'y a pas que des Grolier sur le marché. Je vais souscrire à la vente d'un decadrachme de Kimon ou d'Euïanetos, les deux plus grands artistes ayant oeuvré dans la Sicile grecque. Pour 50.000 FS il a été possible voici quelques mois d'acquérir un exemplaire parfait et signé, de ce qui est de tout temps considéré comme la plus belle monnaie jamais frappée, et signée de surcroît ! Evidemment ce n'est pas grand. Il faut même une loupe pour en admirer les merveilleux détails, mais point n'est besoin de s'y connaître, même en ce qui concerne l'état de conservation, qui est primordial et balisé dans les grandes ventes spécialisées. Vous aurez un fragment d'éternité et de beauté.
Demain il est possible que l'argent que nous économisons pour les mauvais jours ne vaille plus rien. Mais une oeuvre éternelle demeure éternelle. Lorsque j'avais 22 ans, j'économisai sur le prix du métro, sur le cinéma, sur une tasse de café. J'allais à pied, je visitais à longueur de semaines le Louvre et le musée des Arts de Métiers, alors gratuits le Dimanche, pour -au bout de deux ans d'économies, m'acheter un magnifique Hartung de 1950. Aujourdhui, il vaut 400 000 euros et se vend sur téléphone !Il est évident que tel n'était pas le but du jeune homme fauché que j'étais. Il était de vivre avec quelques centimètres carrés de génie!