L'"AC" est la frange la plus actuelle de l'Art, et suit le post moderne. Ses particularités: confusion et pléthore, dépassement des limites, prépondérance du facteur financier.
Décodages de l’Art Contemporain
Par Art contemporain, il est convenu de désigner les artistes en activité depuis la dernière décennie, par opposition aux mouvements précédents, comme le pop art, l’art conceptuel, l’art minimal ou l’hyperréalisme, qui tombent dans la catégorie moderne. Ainsi des artistes comme Warhol, Kosuth, ou Estes, sont-ils considérés comme modernes, bien que certains soient en activité. Mais comme pour Soulages, leur œuvre contemporaine se situe dans le prolongement de leur parcours du XXe siècle. En revanche d’autres comme Bruce Neumann, ou Jeff Koontz font partie de la mouvance contemporaine.
Ce qui caractérise l’AC, est l’incroyable foisonnement des œuvres produites, leur hétérogénéité et leur propension au scandaleux ou au kitsch. Tout devient possible, et son contraire. Certes, Dada, et Fluxus, dans le passé, ont été à la source de ces provocations, mais elles étaient considérées comme telles alors que maintenant elles se constituent en nouvel académisme et s’insèrent dans un circuit marchand. Un exemple en est la « merda d’artista » de Manzoni. Cette boite de merde en tirage limité était vendue par défi au prix de l’or. Aujourd’hui, elle vaut bien plus, et on peut en trouver des cartes postales en vente dans les librairies de musées. Mais cet objet répondait à un « geste » qui n’avait rien de complaisant ni d’esthétisant. En revanche, la descendance de la merde d’artiste a été prolifique, on ne compte plus les œuvres, et les mouvements qui se réclament de la scatologie la plus crue. Paul Ardenne a écrit à ce sujet « Extrême, Esthétique de la limite dépassée, Flammarion, 2006 ».
Une autre caractéristique de l’AC, est son caractère résolument marchand. Certes, de tous temps, et en particulier, à la fin du XXe siècle, la spéculation a été un trait dominant du marché de l’Art. Mais, il subsistait une frange importante d’artistes majeurs et de collectionneurs qui s’intéressaient à la valeur authentique de l’œuvre, indépendamment de son potentiel financier. Par ailleurs, des débutants à la bourse relativement modeste, pouvaient jusqu’aux années soixante dix, acquérir des œuvres de qualité d’artistes confirmés. Il est vrai que Bacon, et Dubuffet ont toujours été hors de la portée des classes moyennes, mais on pouvait accéder à des pièces intéressantes de Tàpies, de Hartung, ou même de Warhol et de César. Aujourd’hui, même les musées internationaux ont du mal à se procurer des tableaux des jeunes artistes lancés avec succès sur le marché et devenus des stars. Ils sont en compétition avec de nouveaux collectionneurs et des financiers très fortunés, qui traitent les œuvres comme des placements en bourse. Les artistes eux-mêmes promeuvent souvent leurs œuvres non pas par leur valeur artistique, désintéressée ou obéissant à un idéal transcendant mais par leur succès financier et leur potentiel de croissance. Ainsi Jeff Koontz a-t-il permis qu’on ouvre son DVD, remarquable par ailleurs, par une séance chez Sotheby’s, où une de ses sculptures en porcelaine, atteint plus de 5 millions de dollars. Certes, il subsiste des collectionneurs authentiques, mais ils sont aujourd’hui minorité. Les sommes en jeu expliquent la contamination du choix par des considérations purement économiques, dès qu’on accède à la cour des grands.
Surenchère des extrêmes, diversité chaotique des styles et des manières, prépondérance de critères spéculatifs, autant de facteurs qui nous amènent à poser avec encore plus d’acuité que par le passé, la question : qu’est-ce qui est art, comment établir une quelconque hiérarchie entre des pièces exceptionnelles, dignes de figurer dans les musées, ces panthéons du patrimoine universel, et des productions médiocres, voire ignobles et méprisables ? A titre d’exemple, donnons quelques exemples concrets : l’artiste A, a entrepris d’écrire sur un ensemble de toiles tous les chiffres, de 0 à l’infini. Après des années de labeur exclusivement consacré à cette noble tache, il a dépassé le nombre de quatre millions. L’artiste B, vous adresse tous les jours une carte postale assortie d’une page de quotidien pour témoigner qu’il est toujours vivant, l’artiste C, se fait tirer une balle dans le bras et crucifier sur une voiture, l’artiste D, injecte de la plastiline dans des cadavres pour leur donner l’apparence d’un corps vivant,l’artiste E, se revêt d’une chemise de viande crue et attend pendant deux mois qu’elle pourrisse, l’artiste F, mange du cadavre et l’artiste G, se taillade le corps. L'artiste R, expose la photographie d'un suicidé, figure ensanglantée. (Damien Hirst, ci-contre)
Les « œuvres » ainsi produites, revendiquent le statut d’œuvres d’art, dans la mesure où elles sont conçues et exécutées par des gens s’autoproclamant artistes, et reconnus comme tels par le « milieu artistique ». Ce dernier repose sur la triade : marchand – commissaire d’exposition – critique d’art, et l’œuvre est sanctionnée en salle des ventes.
La rubrique « Art Contemporain » explore les frontières indécises qui séparent l’art de la fumisterie, le chef d’œuvre de la provocation, l’autosuggestion de l’admiration authentique pour une œuvre majeure, le concept pur de la matérialité tautologique, la novation réelle, de l’artisanat servile. Le paradoxe réside dans le fait que ceux-là même qui proclament la relativité des critères et récusent toute hiérarchie de valeur, légifèrent sur l’admissibilité des œuvres et des artistes dans les musées et les expositions. Voir aussi la rubrique « Psychologie de l’Art ».