Friday, 6 April 2007
*** Dans l'ouvrage attribué à Kevin Bronstein, je m'attribue le rôle du préfacier. Ce texte résume les idées maîtresses de 'l'ouvrage et complète l'article sur la genèse de virus. On ne peut éviter une redondance avec ces préfaces et avant-propos.
Kevin Bronstein,
eight lessons
Préface de
Bruno Lussato
Cet ouvrage, comme l'indique son sous-titre, n'est ni un essai, ni un livre de vulgarisation. C'est une série de huit leçons professées par Kevin Bronstein lors d'un séminaire tenu en Août 2003 à Genève dans le cadre de L'Institute for Systems and Development. (ISD)
L'ISD est un think tank indépendant de tout lien avec des entreprises ou des états. Partant d'une approche systémique et holistique, il est consacré à l'approfondissement de la théorie de l'information. Il s'est illustré par la publication en 1975, sous l'égide de l'Oréal, du premier travail posant les fondements de la microinformatique. J'inventai ce néologisme passé aujourd'hui dans la langue courante pour poser les bases théoriques d'une informatique conviviale, fondée sur la commercialisation massive de micro-ordinateurs legers, peu encombrants, ne nécessitant ni spécialistes pointus ni salles réfrigérées.
Le rapport ISD fut accueilli en Europe avec une incrédulité condescendante. Les technocrates français, dont Alain Minc rapporteur de L'informatisation de la Société fut la figure de proue, non seulement discréditèrent ses travaux qui prédisaient l'essor de la microinformatique, mais firent leur possible pour faire échouer les premiers fabricants de microordinateurs, les français Alvan et Micral. La France manqua la révolution micro-informatique, dont la théorie et la pratique étaient nées sur son sol. Les constructeurs européens, accueillirent avec le même mépris condescendant, les nouvelles idées, et voulant imiter IBM, ils déclarèrent que l'avenir appartenait aux giga-ordinateurs. On sait ce qu'il en advint.
Si j'ai rappelé cette péripétie, c'est qu'elle illustre à la fois la démarche de l'ISD, théorique et synthétique, et les forces centralisatrices et bureaucratiques qui travaillent l'Europe et tout particulièrement la France. Le travail de sape des technocrates tout puissants qui firent avorter l'Alvan, et le Micral, fut relayé par l'establishment tehnologique et popularisé par une vaste campagne de désinformation.
Le sujet de ce livre, est précisément cette altération subtile et pathologique des communications, désigné par le terme de désinformation par Vladimir Volkoff vulgarisa. Le nom collectif de Kevin Bronstein fut utilisé par mes collègues, à l'instar de celui du Général Bourbaki, signant le fameux traité sur les mathématiques modernes. Les huit leçons sur la désinformation, s'attachent à démonter les rouages du mécanisme pervers qui envahit les mass media, plutôt que de descrire in-extenso les phénomènes auxquels il donne lieu, fort bien illustrés par l'ouvrage de Jean-François Revel, La Connaissance inutile. J'ai essayé d'adapter ces leçons à l'intention d'un public français en ayant recours à des cas qui lui sont familiers, et quelque peu réactualisés.
Une des raisons pour lesquels le mécanisme sous-jacent à la désinformation a été rarement approfondi, tient à la nature protéiforme de la notion elle-même d'information, à laquelle il convient d'ajouter le malaise attaché à un phénomène, dont chacun sent la pénétration insidieuse et pressent la nocivité. Toute exploration sérieuse de la désinformation doit en effet recourir à des disciplines très variées dont la connaissance même sommaire, échappe à la majorité des chercheurs. Elle exige également du chercheur qui, comme tout être humain, est victime et agent de désinformation, un détachement problématique. D'où la formule choc du livre : La désinformation c'est nous, mais pour nous, la désinformation ce sont les autres. Les huit leçons de Bronstein, ne sont évidemment par exemptes des distorsions et des déséquilibres qui révèlent la présence du phénomène. Un exemple en est l'importance accordée au film Le Cercle des poètes disparus, cheval de Troie de la subversion trotzkiste dans les milieux bourgeois et pseudo-intellectuels, alors que l'auteur aurait pu choisir Midnight Cowboy, dirigé contre la Turquie et qui est encore plus révélateur du mécanisme. Bronstein, n'aime pas le terrorisme intellectuel ni la "gauche caviar", et, contrairement à elle, préfère avoir raison avec Aron que tort avec Sartre. Cette aversion pour le "politiquement correct" colore l'ensemble de l'ouvrage et introduit un déséquilibre dans le choix des exemples.
Néanmoins, l'important, dans ces huit leçons, n'est pas l'exposé des cas, forcément partial et lacunaire, mais le modèle explicatif qui, lui, demeure plus que jamais valable. L'originalité du modèle, réside dans la synthèse des concepts émanant de savants célèbres comme Julien Jaynes, Leon Festinger, Jean Piaget, Kurt Lewin, ou obscurs et controversés, comme François Bonsack et Rupert Sheldrake. Ce travail transversal permet d'établir des passerelles entre les concepts des différentes théories rappelées et des études de cas allant de l'assassinat de Kennedy à la mise au ban de la parapsychologie par les milieux universitaires.
L' apport théorique des Huit leçons, outre la nature holistique du travail, réside dans l'articulation de trois concepts essentiels, mettant en évidence certains aspects importants du mécanisme de désinformation. La nouveauté et l'originalité de ces "constructs", pour adopter le terme lewinien, a obligé l'auteur à recourir, non sans apprehension, à des néologismes contestables et sans doute provisoires.
Le premier désigne sous le vocable de noeud sémantique ces agrégats denses de croyances et de dogmes, animés par de puissants instincts et des intérêts matériels, mais par la quête d'une vérité absolue qui nous rassure en donnant sens à l'insensé. Face de Janus, tourné vers l'intérieur du psychisme et s'incarnant dans le collectif, le noeud sémantique est composé de particules psychologiques, nommées par les anglo-saxons psytrons ou psychons que j'ai traduit par psychèmes. L'auteur adhère par là à la vision de Sir Karl Popper, qui postule l'irreductibilité du monde physique et biologique, et du monde psychique, (premier et deuxième monde) et que leur interaction dont le caractère paradoxal a été mis en évidence par Jean Piaget et exploré par Sir John Eccles. Les huits leçons sont de ce fait, radicalement opposées au réductionnisme ambiant des neurosciences, (Le cerveau secrète la penséee comme le foie secrète la bile) considéré comme un dogme datant du XIXe siècle, et incongru à l'ère de la physique quantique et de la théorie des cordes.
Le second apport théorique des Huit leçons réside dans la formalisation des échelles de valeur qui orientent nos comportements, nos opinions et en définitive notre jugement. L'auteur dégage six, et seulement six, échelles élémentaires, (Jugdment Value Générator Scales) dont la combinaison donne naissance à une grande variété de critères de jugement, et dont la résultante est une échelle volitionnelle, déterminant nos conduites positives ou négatives vis à vis d'un évènement, un homme, un objet : adhésion ou hostilité, attraction ou répulsion. d'évitement ou d'attraction. Les noeuds sémantiques diffèrent par la manière dont chaque évènement est noté dans l'espace axiologique à six dimensions. Ils orientent de ce fait notre comportement et biaisent le cheminement de l'information. Il en résulte que partout où existe un foyer dense et puissant de croyances et d'intérêts, se manifestent des phénomènes de désinformation. Ceux-ci ne doivent pas être ramenés à des mensonges (bruits), des censures (pertes) ni même à des distorsions, pour adopter la terminologie shannonienne, mais considérés comme une déformation des données factuelles lors de leur organisation en information signifiante, ayant pour but de réduire les dissonances entre notre perception du monde et le modèle idéologique implanté dans notre psychisme. En suivant la thèse de Jaynes, on pourrait concevoir le noeud sémantique comme une sorte de tumeur logée dans l'hémisphère droit du cerveau et nous désinformant malgré qu'on en aie.
Pour expliquer comment, à partir d'un psychisme individuel, le noeud sémantique se propage, jusqu'à envahir des populations entières en les hypnotisant et en les conduisant au bord du délire (que l'on songe à l'emprise de Hitler sur des foules fanatisées), on a recours à deux métaphores.
La première, cosmogonique, postule l'existence d'un champ de formes, émanant de ces noeuds sémantiques puissants nommés étoiles sémantiques. Elles déforment l'espace axiologique, comme une étoile agit sur l'espace cosmique, inflechissant le trajet de la lumière, comme le noeud infléchit la trajectoire de la communication, celle qui va des faits aux jugements.
La seconde métaphore, est empruntée à la biologie, et donne son titre à l'ouvrage. Le noeud sémantique y est décrit comme un système de psychèmes cohérents, émettant des messages véhiculant ses gènes sémantiques (les dogmes et les ordres) et contaminant le psychisme des récepteurs. Les gènes se développent d'une manière souterraine et reconstituent le noeud initial. Plus nombreux les individus touchés, plus fort est l'impact. Le processus de désinformation est donc cumulatif : plus un noeud sémantique se propage, plus il se propage.
Un troisième apport significatif de huit leçons est la cartographie des noeuds sémantiques, sorte de carte génétique analogue au décryptage biologique du génome. Ils sont dotés d'un noyau central dont la composition détermine leur identité, équivalent du génome d'une cellule. Les gènes nucléaires sont formés de postulats, et leur réseau est une véritable usine produisant à jet continu principes, dogmes, règles et lois. Autour du noyau gravitent des sèmes contextuels, dont certains favorisent l'adaptation du système nodal à l'environnement (vulgates, gloses, cathéchismes, commentaires) et des sèmes moteurs (connotations émotionnelles, images dramatiques, romans, films,) associant le noeud sémantique à des sources d'énergie (instincts, pulsions, intérêts particuliers ou collectifs). Enfin, à la périphérie du noeud sémantique, une membrane ou enveloppe, véritable cheval de Troie qui favorise la pénétration du message désinformant dans le cerveau de l'adversaire. Ce dernier, contaminé à son insu, est programmé pour s'autodétruire.
Le syndrome de Stockholm dit antérograde (dont les victimes attirent les ravisseurs), correspond à la définition stricto sensu de la désinformation d'après Volkpff. Les "idiots utiles" sont les propagateurs zélés, voués à leur propre destruction, décrits avec férocité par les agents du Komintern..
Toute une typologie des noeuds sémantiques est présentée, qualifiée de noms pittoresques : langouste bureaucratique, octopus, medusa... Ils sont associés à une "peste" spécifique : brune, rouge ou noire, correspondant à la contamination et d'extension des messages désinformants propres à chaque noyau. Les pandémies que sont les désinformations de masse, responsables de massacres, de génocides, de persécutions, et sous une forme atténuée, des partis-pris et des modes, sont autant de pestes.
La topologie des noeuds sémantiques aboutit à la constatation qu'ils fuient comme des galaxies : les systèmes de croyance ont tendance à se radicaliser, l'écart entre les dogmes, tend à devenir schisme, gouffre, abîme. On touche ici à l'essence de la problématique actuelle de l'irreductibilité des systèmes de croyances vulgarisée par Huntington. Les déboires rencontrés par l'intégration des immigrés est principalement due à la non solubilité des doctrines islamiques, transnationales-mondialistes, tiers-mondistes ou post-nazies, dans les principes démocratiques des pays d'accueil. Néanmoins les noeuds sémantiques de Bronstein, sont infiniment plus nuancés que les blocs civilisationnels de Huntington et le choc des civilisations qu'il présente comme inévitable, n'apparaît que comme un cas extrême de l'évolution des noeuds sémantiques qui sont susceptibles d'échanger des sèmes, ou de se modifier sous la pression des évènements.
Le travail présenté par Bronstein, si ses thèses sont vérifiées, devrait susciter une opposition et un discrédit universels, car il met en évidence des mécanismes peu glorieux, impliquant tous les partisans désinformateurs et les désinformés souvent complices. Les huit leçons décrivent sans complaisance les tares de la bourgeoisie conservatrice, l'hypocrisie du politiquement et culturellement correct, les armes de distractions massive et les ravages écologiques des tranésnationales et de la "mondialisation heureuse", le fanatisme des islamistes et ceux qui par lâcheté font leur jeu, le réductionnisme quasi médiéval du milieu scientifique... et au premier chef, l'influence pernicieuse du vecteur des spores désinformants le plus puissant, favorisant et vivant de la désinformation : Octopus, système universel d'information globalisante, allant des mass media aux manuels scolaires, et plongeant enfants et adultes de tous milieux dans un état de déculturation et d'abrutissement digne de l'empire romain décadent. Du pain et des jeux, voici le dogme du premier pouvoir. Mais l'apparence neutre et familière des armes de distraction massive américaines (titre d'un livre de Matthew Fraser) provoque dans les populations du monde une baisse d'immunité psychologique, qui rend possible tous les affrontements, ouvre la porte aux pandémies et rend hélas crédible l'hypothèse d'un choc des civilisations.
La conclusion est que, d'une part la désinformation est un phénomène normal, comme la pollution, et la présence des bactéries et des virus, dont seuls les excès doivent être combattus, d'autre part, que la globalisation et la deshumanisation du monde rendent toute prévision impossible, justifiant aussi bien la thèse d'un choc des mondes apocalyptique, que celle d'une régulation automatique des conflits par leurs conséquences néfastes. en définitive, affirme Pangloss, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et Fruttero e Lucentini, dans La prédominance du crétin déclarent que l'homme trouvera toujours une solution. En histoire, le pire n'est pas fatal, et toute catastrophe a ses effets positifs. Après tout, l'holocauste a servi à transformer la mentalité allemande et les deux guerres mondiales, ont écarté à jamais, la vision d'un conflit armé entre les puissances européennes. je revendique le droit de prétendre que massacres, holocaustes et goulags, sont un prix un peu élevé pour une prise de conscience qui semble n'être qu'imparfaitement réalisée dans les faits. Mais ce propos, dénué de fondement scientifique, révèle de ma part, l'influence d'un noeud sémantique en déclin : l'humanisme de la renaissance italienne d'où je tire mes origines. On me pardonnera cette désinformation, dont les effets se font ressentir tout au long de l'ouvrage de Bronstein. L'essentiel est de l'avouer honnêtement, telle est la morale de ces huit leçons.
Bruno Lussato
8 octobre 2006
Révision du 9 octobre 2006
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