Les conséquences imprévisibles de la doctrine Trujillo
Unexpected Outcomes
C'est mon ami François de Closets qui, je crois, me faisait remarquer qu'avec la grande distribution, et l'urbanisme de masse, on était entrés dans l'ère du carré, du cube ou du rectangle. Tout est au carré :les boites de sardine, le riz Basmati, les CD roms, les barres de HLM, les têtes des jeunes et des branchés...
C'est qu'une des premières nécessités du "plus de vendeurs, servez-vous vous mêmes" impliquait la mise sous emballage de ce qui auparavant était débité en vrac : le beurre en motte, les pâtes, le jambon, les oeufs, les produits d'entretien. Et l'emballage se devait d'être cubique afin de faciliter le rangement et le stockage. Notamment de minuscules cédéroms étaient enfermés dans de grandes boites remplies de vide.
C'est que le vendeur étant absent, il appartenait à l'emballage de vendre. Cela se faisait par un argumentaire décrivant la nature du produit, sa composition, voire même son apparence lorsque l'emballage était opaque. La photo de l'objet remplaçait alors la vue de l'objet. En complément des emballages vendeurs, on prévoyait aussi des pancartes, tracts, coupons, s'adressant "personnellement " au client, devenu un "consommateur" (au sens d'un ver de terre consommant la glaise et l'évacuant). Jean Baudrillard dans Simulacres et Simulation, Débatd, Gailée 1981, cite l'Ecclésiaste:
Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité - c'est la vérité qui cache au'il n'y en a pas.
Le simulacre est vrai :
Beaudrillart remarque en outre que la carte précède le territoire, c'est à dire que le consommateur achète, non pas le produit, mais son image dans l'emballage, dans la pub, à la télévision, dans les guides du consommateur. "Vu à la télévision" devient un argument de vente.
C'est qu'il n'est pas suffisant de faire vendre par l'emballage ou la pub dans les jouernaux, il y manque le bagoût du vendeur. Or il n'y a pas de vendeurs dans la doctrine Trujillo. On va donc le remplacer par un simulacre, plus beau que le vrai, et ce simulacre est fourni par la télévision en couleurs, à ce moment au début de son essor.
Marcher sur une carte
Lorsqu'on fait son marché on va de stand en stand, où des artisans enthousiastes vantent leur produits : fromages du terroir, miels ou saucissons de haute qualité. On circule dans un univers d'odeurs, où l'on palpe, on soupèse, on dialogue avec le maraîcher ou le vendeur d'épices.
Lorsqu'on se promène dans un hypermarché, ou un supermarché, on marche dans un labyrinthe d'apparences, dans une immense photographie, où le soleil, les formes, les couleurs, les apparences et jusqu'aux vendeurs, sont des simulacres. Ces simulacres se projettent hors de l'espace du magasin pour pénétrer dans les foyers, via la télévision. Ainsi que me le confiait Jacques Attali, la télévision est une grand-mère réifiée, transformée en chose, mais la grand-mère, aurait-il dû ajouter, ne raconte pas d'histoires. Comme Bellemare, elle vend de la lessive, soit directement, et c'est la Pub, soit indirectement par le cinéma hollywoodien, et ce sont les fameux produits dérivés. Disney a porté à un haut point de perfection cette fusion entre l'acte de consommer et l'acte de vivre.
Octopus
C'est à ce stade qu'intervient un basculement. L'accès à la télévision est en effet extrêmement cher, surtout dans le prime time (heures de grande écoute) dans les chaînes tous publics. C'est que le débit du canal, contrairement à la presse, et au magasin lui-même est linéaire, séquentiel, il passe par un goulot d'étranglement qui est aussi celui du champ de conscience du spectateur. Il s'ensuit que les séquences publicitaires ne peuvent qu'être très concentrée et très courte, de façon à s'imprimer dans la mémoire l'espace de quelques minutes. La perception du temps du spectateur en est modifiée. Il ne peut soutenir son attention pendant plus de trois à sept minutes, et aura tendance à zapper. Il est évident que dans une tel contexte, une histoire ne peut se développer en profondeur et en complexité, d'où une dégradation culturelle des programmes.
Patrick Le Lay a dit, ou on lui a fait dire, qu'il vendait à Coca-Cola du temps de cerveau. Même en ne tenant pas compte des produits dérivés (poupées, jeux, CD roms etc) il est certain que les annonceurs imposeront des programmes non dissuasifs. Beaudrillard a décrit d'une manière saisissante la détestation de la masse pour la culture, la vraie, celle où on s'investit pour apprendre, pour progresser, pour avoir accès au complexe. De même les masses vont de précipiter sur les émissions conçues pour les masses, c'est à dire d'un niveau très bas. Mais bientôt un effet de contamination s'ensuit, toutes les chaînes, même celles qui prétendent avoir une politique de niche; finissent par vouloir agrandir leur auditoire, et c'est le début de la fin.
Réciproquement la télévision tire une grande partie de ses revenus de la "pub" celle-ci étant d'autant plus payée que le taux d'audience est plus important. C'est alors le règne de l'audimat qui va s'étendre' à tous les médias, y compris à ce blog. Si je baissais la qualité, et introduisais un peu de porno, de people ou de sujets attractifs gore ou documentaires style la vie solitaire des loups gris, mon taux d'audience exploserait et je pourrais vendre moi aussi du cerveau de spectateur.
Est-il besoin de souligner, qu'en dépit de la multiplication des canaux et des marques qui y font leur pub, la fréquence suit une courbe de Pareto à front raide. C'est à dire que 5% des titres font 95% des ventes. Ce qui fait que plus un livre se vend, plus il se vend et l'acte de se vendre est plus important que l'art de l'écrivain. Le hit parade devient l'argument qui détrone la qualité. Une fracture grandissante d'instaure entre les "people", les "hits", les "stars", les évènements gore (attentats, crimes, guerres, discours officiels) et les émissions culturelles dont Arte est un exemple raté. (Absence de répertoire classique). C'est le système EPM décrit par De Closets. D'une part une petite chaîne pour snobs, et pour qui misérabilisme et prétention sont synonymes de haute culture, la seule attraction provenant des émissions sur la nature et les animaux. D'autre part, une grande chaîne généraliste, accessible seulement à de très grandes organisations et dont les programmes sont tournés vers les valeurs de force de la terre rétrograde : l'utilité (pages économiques, recommandations pour la conduite, ou pour la santé), people (information sur les hommes politiques et les attentats et combats), show biz et téléréalité,, enfin les infos économiques (taux de chômage, côte des actions, etc).
Nous avons vu que d'après la théorie de la contingence, les très grandes organisations, incapables comme les petites de satisfaire des besoins évolutifs, différenciants et de haute qualité, en viennent à créer des simulacres de nouveauté (nouveau!), de variété (pesonnalisé, les numéros verts inaccsssibles) de bonheur et de convivialité. Seuls ces organisations, ne pouvant s'adapter à l'environnement, assimilent l'environnement pour qu'il colle aux produits grand public. La grande distribution suit car elle est dispensée de vendre au client, ce qui fait des économies substantielles (libre-service) et que la grande organisation la fait bénéficier du talent de Robert Hossein ou de Catherine Deneuve comme vendeuse.
Ainsi nait le phénomène MATRIX, qui affecte la production et la distribution de masse, phénomène accordé à OCTOPUS le noeud sémantique médiatique. OCTOPUS bénéficie aussi de DJIHAD, les attentats font vendre, et de MEDUSA au point de vue culturel : émissions consensuelles. On peut donc en conclure, qu'une des conséquences imprévues des Hypermarchés, a été la prédominance quasi exclusive de Matrix, l'effondrement de la culture humaniste; et enfin la deshumanisation générale du monde par la disparition du "commerce réel" au profit d'un "commerce virtuel", sans hommes en chair et en os.
Mais réjouissons-nous, l'homme saura trouver une solution et le monde magique de Matrix apportera mieux que des biscuits chocolatés, : un bonheur au parfum de chocolat qui vous apportera le sourire et la réussite !