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*** LA SÉQUENCE 107. Vol XI. P.1022. EXPLICATION DE TEXTES
Contes et paraphrases.
Les trois souhaits
Chez Zoubov, dans le Vermont.
ZOUBOV
Mes amis, Galina et moi avons décidé d'émigrer vers des cieux plus cléments. Cette séance d'explication de textes sera donc la dernière de l'année. En l'honneur de nos hôtes canadiens, les Dumaine, et à l'occasion des fêtes qui approchent, je vous propose deux paraphrases d'un conte des frères Grimm sur les "unexpected outcomes of spontaneous wishes", les conséquences inattendues de voeux irréfléchis. Je laisse la parole au sympathique trio du Château Frontenac.
CONTEUR
C'est un grand honneur que me fait l'éminent Vladimir Zoubov en me permettant de présenter ma petite troupe de commedia dell'arte québécoise. Nos petits sketches sont improvisés autour d'un thème fourni par nos clients, aujourd'hui un conte de Grimm, choisi par Laurent Dumaine.
Nous nous produisons dans les écoles, les prisons, les sanctuaires d'handicapés, et les maisons de retraite, outre les hôtels, séminaires et réunions familiales. Voici notre carte, notre bureau est au Château Frontenac, suite 22, qui nous parraine généreusement. Neige en novembre, Noël en décembre dit un proverbe belge que nous autres du Québec pouvons revendiquer. À l'occasion des neiges qui nous ensevelissent sous leur chape de silence, voici donc un conte de Noël des Frères Grimm et leurs deux paraphrases, les trois souhaits.
Tous s'assoient
J&V GRIMM
Les trois souhaits
Du temps où les souhaits s'accomplissaient encore, et que les gens n'étaient pas aussi intelligents qu'aujourd'hui, il arriva une bien étrange aventure à un pauvre bûcheron nommé Gnaste. Il survivait dans une misérable chaumière à mi-chemin entre Ouerle et Sousté, avec sa femme Jeanotte.
Il était aussi une une vieille comme tu en as certainement dejà vu, une mendiante. Celle-là demandait l'aumône et à chaque piecette qu'elle recevait, elle marmonnait " Dieu vous le rende". Un jour elle se présenta au seuil de la chaumière de Gnaste et de Jeanotte qui se chauffaient au coin du feu en attendant que la soupe ait fini de cuire. Il lui dirent gentiment en la voyant pénétrer timidement dans la salle: "mais entrez donc grand-mère, et réchauffez-vous, que vous tremblez comme une fiévreuse à quarante degrés."
La pauvre vieille s'approcha de l'âtre car elle avait faim, et les époux lui offrirent leur part de potage pour la réchauffer. S'étant rassasiée, elle eût sommeil et on lui installa une paillasse de foin bien propre, recouvert d'une couverture rêche mais bien épaisse. Le lendemain en prenant congé des époux, elle leur dit : vous avez été compatissants en dépit de votre dénuement. Il vous suffira de formuler trois voeux pour qu'ils s'accomplissent. Jeanotte incrédule s'exclama : j'aurais bien envie d'une bonne saucisse, la soupe d'hier ne m'a guère empli l'estomac.
Et aussitôt la voilà : la saucisse bien grasse et dorée sur la table!
Furieux de voir un souhait aussi inconsidérément gaspillé, Gnaste s'écria " Femme stupide, tu mériterais que la saucisse te saute au nez!" Aussitôt la saucisse s'attacha à l'appendice nasal de Jeanotte et y serait encore aujourd'hui, si le troisième souhait n'avait été employé à la détacher.
MUSE
C'est court et ça ne correspond pas à l'idée que je me fais des contes de Grimm. C'est bien peu moral.
LAURENT DUMAINE (Garçon râblé, aux épaules larges, à la mâchoire lourde, yeux très clairs, cheveux de paille coupés court, maussade et taciturne).
C'est bien peu moral.
RÉCITANT
En voici une autre version. Les époux sont remplacés par un gai luron. « La pauvre vieille s'approcha si près de l’âtre que ses loques prirent feu sans qu'elle ne s'en aperçoive. Le gai luron s'en amusa, lui qui se trouvait là, auprès de la cheminée ». Il aurait dû éteindre le feu, n'est-ce pas qu'il aurait dû l’éteindre?
LAURENT DUMAINE
C'est génial. Il a dû bien se marrer en regardant cramer la vieille.
MUSE
Vous êtes un macho sadique, vous devriez avoir honte.
LAURENT DUMAINE (riant)
Bien sûr que je suis un sadique. J'aurais donné cher pour voir griller les sorcières sur leur bûcher au bon temps de l'inquisition. Il faudrait éliminer toutes les vieilles. Elles enquiquinent tout le monde sans que personne n'ose se plaindre. Le gars du conte est bien sympa.
GALINA (gênée car les Dumaine sont riches).
Il n'avait peut-être pas d'eau sous la main...
RÉCITANT
S'il n'avait pas d'eau sous la main, il pouvait pleurer toutes les larmes de son coeur et éteindre le feu avec les deux rigoles salées ruisselant de ses yeux.
AGHION
Jolie métaphore. Vous ne manquez pas d'imagination, ami.
ZOUBOV
Mais non, Aghion, il s'agit de la conclusion du conte authentique.
RÉCITANT
Il s'appelle "la vieille mendiante" et vous le trouverez dans le deuxième tome de l'édition complète des contes, adaptée pour la Belgique.
AGHION
Combien d'opportunités gâchées par sottise. Que de chances gaspillées par tant de jeunes gens à qui tout semble facile. Mon cher Laurent, il y a mieux à faire que de brûler de vieilles femmes.
LAURENT DUMAINE
Pas de prêchi-prêcha. Je pense ce que je pense
CLARA
Vous vous dévalorisez. Je connais le respect et l'amour que vous et vos frères et soeur portez à vos parents.
LAURENT DUMAINE
Bien sûr que je les aime de tout mon coeur, et gare à qui y touche. Mais c’est qu’ils sont de mon sang, eux, de ma race et de mon clan. On a le sens de la famille dans le Nord, tu t’en apercevras Clara, quand je t'y emmènerai. Ce que j'en disais c'est pour tous les parasites qui sont à la charge de notre communauté. Mes vieux, ils ont travaillé toute leur vie. Ils méritent soutien, repos et respect.
CLARA
Je ne vous ai pas autorisé à me tutoyer.
MUSE
Vous ne seriez pas quelque peu fasciste par hasard?
LAURENT DUMAINE
Non. Je suis nazi.
GALINA
Mes amis, c'est l'heure du thé et de
la Sachertorte à la russe. Régalez vous.
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SÉQUENCE 110. Les trois souhaits.
Version réactualisée du 15 janvier 1998.
LE RÉCITANT
Il était une fois un pauvre bûcheron qui répondait au nom d'Ange Pitou. Il vivait avec Sidonie, son épouse, dans une misérable cabane de rondins, cachée au plus profond de la forêt. Un soir qu'il ramenait au logis une provision de brindilles et de champignons, il rencontra une petite vieille tout courbée et toute ridée, qui lui demanda l'aumône.
- Hélas, ma pauvre grand-mère, s'écria Ange Pitou, ce n'est pas ton jour de chance, car tu t'adresses à l'homme le plus démuni des économiquement handicapés du royaume. Néanmoins si tu acceptes notre hospitalité, Sidonie, ma femme, et moi, serons heureux de partager avec toi notre minable repas. Saches cependant que pour te rassasier nous ne pourrons t'offrir qu'une soupe aux épluchures de patates et une salade de champignons, ceux-là mêmes que je viens d'arracher à l'écorce des troncs pourrissants.
- J'accepte volontiers, répondit la mendiante, au moins trouverai-je un abri contre les orages nocturnes, et un refuge contre les brigands.
-Sidonie, ma mie, annonça le bon bûcheron, voici une visite inattendue. Cette pauvre grand-mère est en quête d'un abri pour la nuit, qui s'annonce dangereuse en un temps où les loups affamés prolifèrent depuis que les écologistes les protègent contre les bergers.
-Sois la bienvenue dans notre foyer, dit Sidonie, il n'est certes pas confortable, mais au moins y trouveras-tu une oreille compatissante. Nous sommes il est vrai, bien pauvres, mais tu l'es plus encore, aussi est-ce de bon coeur que nous t'accueillons.
Ainsi parla l'excellente femme, et sitôt prononcées ces réconfortantes paroles, un prodige s'accomplit. La décrépite se mua sous les yeux éberlués du couple en une diaphane créature au diadème de filigrane d'argent constellé d'améthystes et au manteau de soie parsemé de perles grises. Ne me dites pas que vous ne l'avez pas reconnue. Mais oui! C'est elle, la fée des lilas, la plus espiègle d'entre les fées, et modeste avec cela!
-Bonnes gens, dit la fée, votre généreuse hospitalité mérite récompense. La voici. Je vous offre trois souhaits. Il vous suffira de prononcer les mots "je voudrais" pour qu'ils soient exaucés sur le champ. Ayant ainsi parlé, elle disparut sous les yeux du couple muet de saisissement.
Ce fut Sidonie qui la première recouvra ses esprits et avec eux sa langue, qu'elle avait bien pendue. " Tu te rends compte mon homme, de ce qui nous arrive! Tout ce dont nous avons rêvé pendant les soirées d'été, regretté pendant les crépuscules d'automne, ruminé pendant les longues journées d'hiver et espéré pendant les matinées de printemps, nous pourrons l'obtenir. De belles robes, des bijoux...
-Pour l'amour du ciel, ma mie, intervint précipitamment le bûcheron, ne t'en vas pas imprudemment sacrifier l'essentiel au superflu et gaspiller notre capital d'opportunités. Nous ne disposons que de trois souhaits, pas un de plus, aussi serons nous bien avisés de réfléchir profondément avant de formuler notre voeu.
-Que vous êtes compliqués, vous autres hommes! Quel danger voyez-vous à passer en revue les désirs qui nous trottent par la tête, pour en fin d'examen choisir les trois les plus avantageux? Une simple évocation avant le fatidique et solennel "Je vou...
-Retiens-toi de prononcer ce verbe ma mie, avant que nous nous soyons accordés sur nos priorités. après avoir généré les opportunités par le brainstroming électronique offert en prime par Macrohard 331, nous mettrons en application la grille multicritères CHOOSE-AND-WIN qui nous crachera le chemin critique menant aux options optimalisées en fonction de nos désirs pondérés mesurés par la dernière échelle volitionnelle normée SOFTWHERE.
- Ce que c'est savant mon ami, on voit bien que tu a été consultant d'entreprise et où ça t'a mené! Moi, je sais très bien ce qu'il nous faut sans avoir besoin d'utiliser ces idioties informatiques. Par exemple, ton habit est râpé, tes bottes laissent passer l'eau, et ton vieux baudet a crevé l'an dernier.
-Tu as raison, ma mie. Tu me vois avec un costume tout neuf en velours cramoisi, avec un chapeau jaune et des santiags de cow-boy?
- Et moi, avec des jeans cousus de perles et de diams, un manteau de zibeline doublé de chinchilla et une salle de bains avec une baignoire ronde à jets tonibulliants au rétinol actif, et toute une cargaison de crèmes anti-rides, anti-âge, hydratantes-désincrustantes au réducteurs anti-oxygène enrichis au B-gardenasal asymétrique surcompensé?
-Et on habiterait un château avec des salons façon Versailles, une salle de billard, un autre pour le train électrique, un bar-dancing avec des lites arc-en-ciel ultra-violet fluo, sono-techno et plateau de télé privée pour staracadémie. Pour moi un jet privé comme celui de Victor Newman, pour toi une Rolls grande comme un camion de surgelés avec un coin beauty-farm qui lorsque je m'amènerai chez ce snob de Carmuse, il en tomberait hémiplégique. On fera les plus belles raves du royaume où on recevra monsieur le maire, que sa femme en crèvera.
- Et aussi cette-pisse-vinaigre de Germaine avec son rabat-joie de mari, et le duc de Mieilli-Stivali avec sa soeur et Mahmoud Ben Sidi, son amoureux, et Monseigneur Aghion, tout en violet de cérémonie, et Vladimir Zoubov, le grand poète russe avec Galina, sa fidèle et noble épouse...
ZOUBOV
Ce n'était pas nécessaire.
RÉCITANT
... Mais on n'invitera pas ce Pancrace de malheur qui t'a accusé de pédophilie, alors que l'Euphrosyne, elle a la vingtaine bien comptée!
-Tu oublies que pour un père possessif, ses enfants sont d'éternels gosses impubères. Bien au contraire, l'Euphrosine il faut l'inviter pour qu'elle raconte à son prétentieux de paternel ce que sont les Pitou devenus. Elle lui décrira les plats en or et acier massifs, avec dedans... Quoi dedans?
-Des paons farcis à l'antilope, comme j'ai vu au moyen âge dans ce film avec Burton, des cailles au foie gras, des grenouilles françaises au champagne, du chocolat de la plantation Cluzel pur Madagascar, des truffes d'Israël, du caviar d’Australie, du Hollande italien, du parmesan à la rhubarbe,... et de bonnes pâtes Panzani à la sauce riche Buitoni...
- Et du bordeaux ancien, très ancien, du temps de Napoléon, du Romagnat Compté, du vin du Patriarche, Gévéor c'est de l'or, Agap, le vin qui décape, Pur Odor Jumbo...
- Ajax ammoniaqué, la fée du logis, Oco est là, la saleté s'en va, la lessiveuse domestique intégrée, la cocotte intelligente à logiciel zen incorporé et...
-T'as pas la classe, ma pauvre Sidonie, t'a pas à t'occuper de ces domesticailles. Je te payerai une armada de larbins en uniforme comme chez Joe Balestra, des cuisiniers, des canapés signés Roméo, tendus de tissus empire de chez Versace, des commodes Claude Dalle, celui qui livre SAS et la princesse Alexandra au château de Liezen, des commodes en laque synthétique véritable avec des poignées en or massif 24 carats. Le siège de cabinet incrusté de silver dollars en argent fait de la musique quand on s'assoit dessus. Et il y a le waterbed en peau de léopard synthétique, tout rond avec des vibromasseurs érotiques et bar incorporés, Wodka Viroubova, Gin et Pepsi à gogo...
- Et je veux, moi, une armoire pleine de parfums; Charade, Ramona, Trésor, Fu Taï, et pomme de pêché...
- Tu retardes, aujourd'hui, c'est du japnoche : Zako-kokaï, Nikkosan, Ogatta-Sciabatta, Ri-Nô-sulfor-gan, Kano Eitoku, Chador Papaye...
- Et je veux aussi des souliers de Cartier, des broches de Ferragamo, des sacs de Montblanc ... ça c'est de l'émotion, ça creuse, ça creuse ! Ah si je pouvais avoir une bonne saucisse... Oh oui, je voudrais une bonne saucisse!
Sitôt dit, sitôt fait : voici une superbe saucisse bavaroise, là au beau milieu de la table!
-Stupide pécore, carogne faisandée, tête de linotte ramollie, triple buse décervelée, vois comme tu as gaspillé une chance formidable par tes bavardages. Songe à ce qu'on aurait pu avoir à la place de ta minable saucisse : une Ferrari flambant rouge, un Yatch avec cent beaux marins en noir comme ceux de Valentino le couturier, un ... tiens, pour t'apprendre à tenir ta langue, je voudrais bien que ta saucisse de malheur, elle te pende au nez!
Sitôt dit, sitôt fait, la saucisse sauta au nez de l'infortunée Sidonie et s'y planta. On eut beau tirer, tordre, agiter, secouer, frotter, étirer, titiller, pincer, caresser, rien n'y fit, la saucisse tenait bon, autant couper le nez!
- Misérable, qu'as-tu fait de ta pauvre femme! Et Môssieu se mêle de donner des leçons, un âne bâté, un tapiroïde embaumé, un butor enfoiré, une bourrique mal embouchée, un cornichon empapaouté, un hareng dégénéré... Qu'est-ce que tu fais là planté comme un espadon, bouche ouverte comme une carpe bouillie, avec tes yeux de merlan frit, à te tortiller comme une anguille au lieu de m'enlever ça!
- Après tout est-ce si grave que ça? On peut très bien vivre avec une saucisse au bout du nez je t'assure. On voit tant de bizarreries aujourd'hui chez les stars avec leurs piercingues et leur tatoos, que tu pourras passer pour un top modèle ou une vedette du show-biz. Crois moi, tu vas lancer la mode saucisse!
C’est ça ! Et quand je voudrai bouffer et déguster ma tisane de camomille, comment que je vais m'y prendre avec cet engin qui me pendouille devant ma bouche?
- Si ce n’est que ça, je te payerai un page qui te relèvera la saucisse pendant que tu ouvriras ta bouche. Tu vois bien qu'avec de l'imagination et de l'oseille, il y a une solution à tout!
- Tu es bien bon ! Et tu imagines la tête du Prince de Strogonoff-Malitorne et des Stroumpf-Pelisson quand tu exhibera une épouse au nez en saucisse ? J'entends déjà cette garce d'Euphrosyne ricaner!
- Je te répète, moi, qu'avec le grisbi tout s'arrange. Ta saucisse on peut la faire décorer par Picassou, tatouer par King Kong Fusai, la truffer de circuits électroniques pour communiquer avec Worldnet, ou encore l’incruster de diams gros comme des pois chiches!
-Bonimenteur de malheur, camelot de mes bottes, la vérité je la connais. J'y vois clair dans tes manigances : tu veux faire mourir de chagrin ta pauvre Sidonie, te débarrasser de moi. Avec l'argent du troisième voeu, tu vas te remarier avec une duchesse ou ... Mais oui, que je suis sotte! Avec Euphrosyne, cette salope qui pourrait être ta fille... Je t'ai vu lui faire des yeux de bœuf que c'est une honte. Et tu vas lui acheter un titre de duchesse, que son père qui te traitait de pédophile, te les léchera pour que tu l'épouses! Prouve-moi que je me trompe!
Il ne restait à Ange Pitou qu'à souhaiter que la saucisse se détachât du nez de Sidonie.
Sitôt dit, sitôt fait. La saucisse libéra l'appendice nasal de la femme Pitou, tomba sur la table, et ils la mangèrent.
MUSE
Que voici une version bien prosaïque...
SOCIOLOGUE
Il faut l'entendre au second degré. Les Pitou sont conditionnés par les stéréotypes qui envahissent progressivement la trame et le discours du conte. La médiocrité des gens compromet leur charitable intention, devenue suspecte par la réitération de son énonciation.
LITTERATEUR
C'est bien trop long
JOHN ABELL
Permettez-moi de vous en donner une version plus concise.
RÉCITANT
Je puis la raconter si vous me fournissez le texte ou même le scénario... Merci... Votre écriture est assez lisible... oh! Mais vous avez griffonné cela pendant que je déclamais! Quelle puissance de concentration. Voyons donc...
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SÉQUENCE 113.
LES TROIS SOUHAITS
Version originale.
9 février 1983
Il était une fois un pauvre bûcheron nommé Ange Pitou.
Alors qu'il s'évertuait à couper du petit bois, il rencontra une petite vieille toute cassée comme un tronc d'olivier rabougri. "As-tu un peu de pain pour une mendiante mourant de faim et de froid? - Hélas ma pauvre petite vieille, soupira le bon bûcheron, tout ce que je puis t'offrir est une soupe aux épluchures de patates que Pancrace, notre riche voisin nous a autorisé à prélever dans sa poubelle.
Sidonie, la pauvre et néanmoins fidèle épouse du bon bûcheron surveillait la marmite quand elle vit son mari suivi d'une vieille mendiante desséchée comme un tronc d'olivier rabougri. "Ah, ça, mon homme; s'exclama-t-elle lorsqu’elle eut écouté son époux, ce n'était pas un bouche affamée que j'attendais mais quelque gros gibier à mettre à la broche. Mais qu'à cela ne tienne, ma bonne vieille, il y aura toujours à notre table frugale, une place pour de plus misérables que nous.
Dès que ces miséricordieuses paroles furent prononcées, un prodige s'accomplit : la mendiante se métamorphosa en une sublime créature toute d'or et pierreries parée. Vous l'avez sûrement deviné, c'était la bienfaisante fée Margarine, qui touchée par la bonté de ces gens simples, parla ainsi:
"Je vous accorde, bonnes gens, trois souhaits. À vous d'en profiter car sitôt formulés ils seront exaucés. Prenez garde, ajouta-t-elle, car il n'y en aura pas de quatrième. " Cela dit, la fée disparut.
Le yeux brillants d'excitation, les époux énumérèrent les biens les plus fantastiques que leur indigence leur permettait de concevoir. "et si on demandait une ferme comme celle de Pancrace, mais bien plus riche, avec de la vaisselle d'argent ?
- En or interrompit Ange.
- "Oui en or, tu as raison, comme ça on pourra la négocier en cas de besoin. Et partout des cheminées, des armoires pleines de linge brodé fleurant bon la lavande, des bahuts en sapin pleins de robes de dentelle.
- Tu plaisantes? Comment entretenir tout ça sans une solide fortune? Il nous faudra de grands pâturages avec cent fois plus de bétail que ce goret de Pancrace, qu'il en crèverait de jalousie!
- Et moi, répliqua Sidonie, je donnerais plein de sous à Dom Cruchon, qu'on aurait le meilleur banc de l'église, à coté de Monsieur le Comte.
- Qu'il en pâlira d'envie ce Gerfanion de Bisonsac de mes bottes, avec ses grands airs, quand il verra que notre palais est plus étincelant que celui du duc lui-même dans sa bonne ville de Cochonnailles! On y fera bombance du soir au matin, avec des laquais servant sans arrêt des paons farcis, des sangliers laqués, des babas au chocolat truffés de dragées d'or fin.
- Ah, ça, mon homme, tu me donnes faim. Si seulement au lieu de cette eau de vaisselle, je pouvais déguster un appétissant boudin, j'y verrais déjà plus clair." Sitôt dit, sitôt fait. Un magnifique boudin flotte dans la marmite et voici le premier souhait exaucé.
Vous imaginez la stupeur des époux! Ange fut le premier à réagir. "Espèce de bécasse, ne pouvais-tu donc tenir ta langue? Voici un souhait stupidement gaspillé. Je voudrais que ce boudin te pende au nez pour t'apprendre à ne pas jaser inconsidérément." Sitôt dit, sitôt fait. Le boudin jaillit de la marmite et sauta au nez de l'infortunée Sidonie, et voici le second souhait exaucé!
Les époux essayèrent d'arracher le boudin. En vain car la moindre égratignure infligée à la peau du boudin arrachait des hurlements à la pauvre femme, tant le boudin faisait partie de son appendice nasal.
À quoi bon, fermes, châteaux et la meilleure place à l'église devant les Gerfanion de Bisonsac, si on a un boudin au bout du nez?
Le troisième souhait, vous l'avez deviné, fut employé à libérer Sidonie du malencontreux boudin. Celui-ci finit dans l'estomac des Pitou, creusé par tant d'émotions, bien piètre consolation après tant de déceptions.
CRITIQUE
C'est la meilleure des versions, la plus authentique, la plus concise, mais pourquoi la margarine?
ZOUBOV
Margarine est le diminutif de Marga, Marguerite, petite Marguerite, Margarine, c'est charmant. Les noires de Louisiane appelaient bien leur fille Rubéole.
GALINA
Zoubov plaisante.
CRITIQUE (aigre)
J'avais cru le comprendre.
RÉCITANT.
Voici à présent une paraphrase adaptée de la variante Stevenson.
SÉQUENCE 115.
LES TROIS SOUHAITS
SUITE
Version Stevenson
LE RÉCITANT
C'était un couple bien tranquille. Après sa retraite, William avait acheté un médiocre et confortable bungalow dans la banlieue d'Edimbourg. Le salon était surchargé de souvenirs rapportés des voyages qui rythmaient les loisirs des Swynbourne. De Paris, ils rapportaient de petites tours Eiffel, de Hawai, des coquillages sonores, des obsidiennes du Teotihuacan, des éventails du Japon, des dentelles de Madère, des défenses d'éléphant du Dahomey.
Alan, le fils des Swinbourne était un robuste jeune homme engagé dans une compagnie qui opérait en Bosnie, en Angola, en Syrie, ou partout dans le monde où rôde la mort violente. Il ramenait de ses dangereuses missions des objets insolites ou poétiques, qu’il accrochait sur un mur du living room, où ils s’ajoutaient aux trophées kitsch de ses parents. Signalons des peintures noires du Tibet achetées, il est vrai, à Hong Kong, des tankas, des Papounias aborigènes, des amulettes, des animaux en os et en peau venus d'Alaska et ... une patte de lapin.
Il pleuvait depuis deux jours et les deux vieux ressentaient le poids de leur solitude, Alan leur manquait. Le garçon venait les voir à chaque fin de mission avec un petit cadeau pour Mamie, une histoire de mercenaires pour William. Les yeux clairs, le large sourire du petit garçon intraitable et affectueux qu'on n'osait gronder, dissimulaient un côté de la nature d'Alan que ses parents ignoraient en toute naïveté.
Mamie mettait le couvert du dîner quand on sonna à la porte. Sur le seuil se tenait un personnage d'une cinquantaine d'années, imper dégoulinant d'eau glacée et yeux las. « Je me nomme Rowland, Lawrence Rowland. Voici une lettre d'Alan. Il vous prie de me recueillir pour la nuit car je suis recherché par la police qui me suspecte à tort d'activités terroristes. C'est un traquenard tendu par les ennemis qui sont aussi ceux de votre fils ».
William ouvrit l'enveloppe et son coeur se dilata : Alan hâlé et musclé posait avec une superbe fille brune au bord d'une piscine hollywoodienne. « Papa, la plus belle conquête de l'homme, ce n'est pas le cheval, c'est la tortue. Ruth et moi l'avons adoptée en attendant mieux ». En effet aux pieds des jeunes gens s'étalait une grosse tortue de mer occupée à dévorer des feuille d'hibiscus, et la jeune fille accusait un léger embonpoint... attendait-elle un enfant? Ils n'étaient pas mariés, mais de nos jours...
-Il est hors de question que vous restiez dehors.
- Je ne veux pas vous compromettre. - Vous passerez la nuit sous notre toit, décida Mamie d'un ton péremptoire. Il ne sera pas dit qu'un ami d'Allan se voie refuser gîte et protection.
- J'accepte volontiers, dit l'hôte inattendu qui, imper ôté, apparut en veste de cuir usée et pantalon de velours côtelé verdâtre.
Pendant tout le dîner, il parla de ses voyages parmi les tribus les plus perdues d’Afrique, mais il ne cessait de fixer un point imaginaire quelque part sur le mur chargé de trophées. À la fin du repas il alla s'installer sur le fauteuil à bascule non loin de l'âtre et réclama un bon grog. L'orage avait perturbé les lignes, les lignes vacillèrent puis s'éteignirent. L'homme fixait toujours la paroi aux trophées et semblait hypnotisé par le point imaginaire, au centre du mur. Sa conversation fort animée, s'arrêtait soudain comme suspendue, puis redémarrait. Enfin il se leva. "Je pensais rester, mais quelque chose m'a fait changer d'avis", déclara le fugitif.
SÉQUENCE 117.
LES TROIS SOUHAITS FIN
Comme ses hôtes le sommaient de s'expliquer, il demanda " Dites-moi, d'où vous vient cet objet ?". Il désignait d'un doigt hésitant une patte de lapin desséchée, pendue à un clou au milieu des trophées. - "C'est un mercenaire, ami d'Allan qui comme vous était en fuite qui nous l'a confié. Je l'ai soigné pendant une semaine d'une blessure au bras. Il est parti en me laissant cet objet miteux, mais c'est l'intention qui compte.
"Je puis vous renseigner sur cet objet, annonça le visiteur. C'est une amulette provenant d'une tribu africaine décimée par des mercenaires américains. Il suffit de formuler trois souhaits en sa présence pour qu'ils soient instantanément exaucés, mais on ne doit invoquer le talisman qu'en cas de nécessité absolue et sans intention impure de lucre ou de vengeance." Il se leva et prit son imper. " - Je veux vous remercier de votre hospitalité par un conseil. Débarrassez vous au plus tôt de cette patte rabougrie. Si vous me la confiez, je la déposerai en passant sur le seuil de l'église.
- Merci beaucoup, dit le vieux, mais depuis des années nous vivons impunément avec cette objet, et c'est un souvenir de mon fils.
-Comme voudrez, bonnes gens, que Dieu prenne soin de vous et pensez à mon avertissement!" et il s’en alla précipitamment.
-Voyez un peu le rusé compère! Il voulait s'approprier le talisman!
- Si c'était le cas, objecta Mamie, pourquoi nous dévoiler ses pouvoirs?
- Tu y crois à ces sornettes? C'est de la superstition.
-Il n'empêche que si ça pouvait marcher, ça nous serait bien utile.
- Quelle rigolade, pense donc, instantanément, ça n'est pas possible!
- Je suis pourtant impressionnée.
- Ecoute, c'est facile à vérifier. Je voudrais bien toucher les 250 000 livres qui nous font défaut pour acheter le cottage d'Arlington, à côté de chez Allan. Quand il se mariera avec Ruth, on gardera les enfants.
- Et la tortue.
- Et la tortue.
- Avec notre retraite et en plus la location de notre maison d'Edimbourg, on pourrait mener la belle vie et gâter nos petits enfants! Toronto est tout près, une ville calme. Su Alan s'y établissait, quel soulagement. Plus de mouron à se faire, à nous demander à chaque voyage si une bombe n'a pas raison de lui. Heureusement il est actuellement au siège de Toronto en toute sécurité.
Un hurlement retentit, couvrant celui du vent. C’était Marcus, le chien de la maison rendu nerveux par l'orage. Tout à coup une lumière éblouit la pièce, le court circuit avait été réparé. Une accalmie rétablit le repos de l'ouïe et des nerfs. Le téléphone sonnait depuis un moment, le bruit de l'orage l'avait couvert.
"Allo, qui est à l'appareil à cette heure-ci ? Quoi? Il est six heures chez vous à Toronto? Qui êtes-vous? L'assureur d'Allan?
- Je viens de prendre congé de lui, après lui avoir fait signé une police d'assurances sur la vie de 250 000 livres dont vous êtes le bénéficiaires. Il lui est venu comme un pressentiment, et il a ajouté encore 250 000 livres au nom de Ruth Romney qui attend un enfant de lui et 5000 livres pour une concession au cimetière d'Arlington.
- Un pressentiment? Le vieux avait le souffle coupé.
- Oui. Il aurait dû l'écouter.
J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, Monsieur. En sortant de chez moi il y à peine quelques minutes, un chauffard lui a défiguré le visage, défoncé la poitrine, et broyé les bras... J'ai recueilli ses dernières paroles : il a murmuré que je vous prévienne aussitôt sur mon portable, que vous achetiez un bungalow avec l'argent de l’assurance et que vous alliez habiter à Arlington, à coté de Ruth et de ses cendres. Il essaya de parler dans le récepteur mais rendit l'âme aussitôt.
Le hurlement de terreur de William et les sanglots de Mamie, mirent fin à la communication. "Que notre fils revienne! s'écria Mamie, ce que le talisman a fait, il peut le défaire". La tempête reprit de son intensité, la maison fut à nouveau replongée dans l'obscurité? Soudain une accalmie. Trois coups violents ébranlèrent la porte suivis d'une sorte de grattement contre le battant. Les deux vieux se regardèrent terrorisés. "Retourne t'en d'où tu viens, s'écria le vieux, et retrouve la paix éternelle"pendant que tétanisée d'épouvante Mamie reculait vers le fond de la pièce en se signant. Des pas claudicants s’éloignèrent puis s’éteignirent. La lumière revint. La patte de lapin avait disparu.
Version du 25 décembre 2004
BLF DG