Bruno Lussato

Cadeaux gratuits

C'est un pléonasme sémantique qui en réalité dissimule un oxymoron. Ces généreux bienfaiteurs de l'humanité, ne donnent jamais de cadeaux gratuits. Ce ne sont que des hameçons pour acheter votre fidélité et il n'y aucun mal à cela.

Voici un mois, un riche et jeune admirateur annonça à son vieux maître, qu'il lui ferait pour son anniversaire un superbe cadeau gratuit. Il lui demanda ce qu'il désirait. Tant qu'à faire, et toute honte bue (à un âge avancé on a eu toute une vie pour l'épuiser jusqu'à la lie) il le prit au mot. Il convoitait un écran à Plasma Pionneer HI-Definition, de 1m27, et rien d'autre. . Le vieillard avait envie de jouir d'une bonne qualité d'image et de son pour assister à des opéras sans se déplacer. Il possédait le meilleur home cinéma du monde... mais il fallait s'y rendre et tout déplacement coûtait désormais un effort à ses vieux os de moineau.

Ainsi pris au mot, le mécène ne fut pas enchanté et on le comprend. Comme c'était un homme astucieux, de ceux qui ont inventé la deuxième paire de lunettes gratuite, il épuisa toutes les ressources de la dialectique pour prouver à son maître qu'un petit Kneesongchung c'était mieux qu'un grand Pionneer et que 1m15 étaient plus grands qu'un m.27. Mais têtu, le vieillard tint bon. Le jeune homme suggéra alors une transaction avec un autre mécène, plus riche que lui et qui offrait au vieux un nouvel ordinateur Sony (moitié prix que le Pionneer). Le mécène le moins riche donnerait le Sony, et l'autre mécène le Pionneer. On imagine l'élégance de la transaction : le vieux proposerait au plus riche : "vous vouliez me donner une bicyclette, mon autre élève, une Mercédès, je vous propose plutôt de vous charger de la Mercédès et laisser l'autre bienfaiteur m'offrir la bécane ! "

Un peu embarrassé tout de même, le disciple déclara noblement qu'une parole est une parole et ayant reçu les remerciements anticipés de son obligé, le jour de son anniversaire il lui offrit en effet le Pionneer. Le seul problème est que ... comment dire? Il était à moitié virtuel. Il obéissait, comme le chat de Schroedinger ,aux lois de la physique quantique. Il était là et il n'était pas là, il existait et il n'existait pas. Au fond c'était un écran à Plasma ondulatoire. Pour le voir, le palper, l'utiliser, il fallait réduire le paquet d'ondes.

Comment se présentait cet objet mystérieux?

Sous la forme d'une proposition de cadeau publicitaire Affreuxloup. En voici la reproduction, pour les sceptiques.

UN BON POUR UN PLASMA * /**

* Uniquement valable pour le Professeur Blussato

** Date de validité 31/1/08

Mais le meilleur reste pour la fin. En effet le maître devenu soupçonneux, se munit d'une loupe, et déchiffra les caractères minuscules de l'écran reproduit sur le bon. Il était d'un modèle inférieur au 1m27 sollicité.

Le vieux était partagé entre le désir de jeter le plasma réel ou quantique à la tête du généreux donateur, et celui d'éclater de rire. Cete affaire lui sembla si grotesque, d'une telle vulgarité de manières et de sentiments qu'il décida de répondre dans le syle du lunettier Affreuxloup. Voici donc la réponse adaptée, à cette démonstration de noblesse de sentiments.

Messieurs,

j'ai bien reçu votre bon pour un plasma, accompagné d'un prospectus et d'une offre gratuite d'une batterie de casseroles, et d'une cocotte en métal inoxydable et je vous en remercie.

Malheureusement je me trouve dans l'obligation de rectifier des erreurs dans votre aimable et somptueuse proposition.

*  Je ne suis plus le professeur Bussato, ayant pris ma retraite depuis huit ans, et ne bénéficiant même pas de l'honorariat. Comme le spirituel polémiste Piéron, je pourrais écrire " ci-git Lussato qui ne fut rien, pas même professeur honoraire"

** Vous avez la bonté de me rajeunir, mais je vous informe que mon anniversaire n'est par le 31 Janvier 2008 mais le 25 novembre 2007. Il y a donc erreur sur la date de validité.

*** Je relève la même erreur sur l'article à livrer qui est d'un modèle inférieur à celui qui a été requis. 

Le cumul de ces trois inexactitudes me conduisent à décliner votre aimable et généreuse proposition, dans l'espoir que dans cinq ans, pour mes quatre vingt ans, elle pourra être réactivée, cette fois sans clauses d'annulation. Cela laisserait augurer que je sois encore vivant et pas tout à fait gâteux pour bénéficier de votre largesse différée. 

Veuillez messieurs recevoir mes remerciements, car si j'ai bien compris votre motivatio, c'est que les temps sont durs, et un sou est un sou. Essayer d'obtenir de votre maître, des conditions de temps, de délais, de modèle, est la marque d'un commerçant avisé, de la graine de ceux qui ammassent des fortunes en nous vendant comme des cadeaux gratuits une seconde paire de lunettes.  

Ex-professeur Blussato, précepteur et pique-assiettes.

Note : il va sans dire, et encore mieux en l'écrivant, que comme l'incident de la boite de caviar, ce compte-rendu n'est qu'un canular.