Poésies chinoises
Vincent à propos de facebox me rappelle qu'il est exempt de toute tentation nombriliste, dont ce blog n'est pas exempt. Voici une recommandation qui ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd. Mon histoire personnelle ne peut intéresser que pour autant elle peut illustrer un propos d'intérêt général, culturel ou médiatique. Malheureusement la tentation est grande de se confier dans les recoins cachés, bouteille à la mer, chant suspendu. Il est vrai que le motif en est la douleur et non le triomphalisme, l'un excluant l'autre. Mais pourquoi se plaindre. Une poésie chinoise m'admonestait :
J'ai laissé en route maints compagnons de ma jeunesse. Ceux-là du moins ne souffrent plus. Ceux-là ont trouvé le repos.
Mais debout lâche voyageur!
Le printemps revient pour toi, les roses vont sépanouir pour toi, et tu voudrais mourir? Sors dans la plus suave nuit de l'année... Il pleut des fleurs de pruniers, qui sécheront tes larmes d'enfant.
La Flûte de Jade. Tai-Chou-louen 942-981. Dans une hôtellerie.
Mais nous sommes en automne, aux portes de la saison que j'appréhende, moi, un amoureux du printemps. A quoi bon de se plaindre alors que le poète vous prête ses mots et ses images. A ce propos, pensez vous que les lettrés capables de tels sentiments, et de les exprimer de façon si simple, si pudique, si sensible, sont les ancêtres des commerçants avides, de la soldatesque sadique qui opprime le Tibet, des financiers ignares et sans scrupules? Où sont les poètes d'antan. Il est vrai qu'on peut en dire autant de la Grèce : où sont passés les Aristote, les Phidias, les Eschyle? Le SMS a tout détroné. Certes Vincent ou poil à gratter ont beau jeu de me dire qu'un média en vaut bien un autre, et popol que le chiffre d'affaires d'Eschyle ne pèserait guère comparé à celui de Madonna. Que voulez-vous répondre à cela?
En fouillant chez un brocanteur malais, j'ai déniché un livre de poésies contemporaines chinoises, traduites par un certain Amédée Dusapin. Elles sont intéressante en ce qu'elle témoignent en dépit des révolutions, d'une constante des images et des symboles.
1. Nuit dans la vallée.
La nuit se lève dans la vallée
Le soleil sombre dans de grandes clameurs orangées
Les étoiles s'allument dans les murailles du ciel
les formes voilées gisent dans les champs abandonnés Les oiseux font silence dans les arbres.
A la constellation des lignes du firmament
répond le mandala de ma configuration interieure
messager d'espoir,
des frissons intermittents courent dans les réseaux
Accourez esprits familiers,
voix du lointain
images de l'inconnu
Accourez esprits du lointain
fuyez amitiés et amours, excitez le mépris et les haines.
Voyez, je suis riche.
J'ai perdu mes faux amis
J'ai déçu mes fidèles
Dans le silence, les mains vides
je suis à vous.
Donnez-moi la clef,
la clé du jardin
et que pour moi se lève
l'aube éclatante de la nuit
Par la suite je trouvai un recueil qui paraît être l'original et attribué à Chang-Wou-Kien. Voici la pièce correspondant à Nuit dans la Vallée
Je reçois, tranquille, le message du lointain, les étoiles tissent mes constellation internes, miroirs de mon destin, témoins de las amours.
Venez esprits familiers, la voie vous est ouverte.
La nuit se lève dans la vallée. Le soleil sombre dans un deuil orangé entraînant des vacarmes diurnes dans ses grandes flammes tragiques.
Une à une, des lumières vacillantes naissent dans les murailles célestes. La bonne nuit est là. Elle est entrée en moi, la solitude paisible de mes veines l'accueille. Ouvrez de votre clef la porte du jardin, éclate, glorieuse, l'aube des profondeurs.
Chang-Wou-Kien
Il est intéressant de comparer le contenu de ces missives à la dédicace de Faust, dont l'esprit me paraît étonnement proche des ces pièces nostalgiques. Il faut re remémorer le contexte. Goethe de 1770 à 1827 ne cessa de travailler à son chef-d'oeuvre, mais c'est pendant les cinq dernières années de sa vie qu'il en termina la quintessence d'une telle complexité que le maître ne voulut jamais la publier de son vivant pour ne pas entendre les sottises qui n'auraient pas manqué de gâter le plaisir du poète. Lorsqu'il reprit la tragédie, il se permit de révéler ses sentiments personnels dans une dédicace (Zueignung).En voici quelques fragments qui illutreront la parenté d'esprit avec la "sehnsucht" des poèmes chinois.
Ainsi vous revenez, formes vacillantes
qui flattiez autrefois mon trouble regard
vais-je à nouveau vous retenir
ce vieux rêve en mon coeur renaîtrait-il si tard?
... ...
Vous portez avec vous l'image des jours heureux
et vous ressuscitez plus d'une ombre aimée
Fable à demi enfouie, échos lointains et sourds;
s'éveillant en une mélodie plaintive et douce.
... ...
Elles n'entendront pas la suite du poème
les âmes de jadis pour qui je le chantais
Le cercle des amis s'est dispersé...
... ...
Un frisson me saisit, les pleurs succèdent aux pleurs :
Ce vieux coeur endurci ressent la joie et la peine.
Ce qui m'était proche semble m'avoir quitté
et ce qui me fuyait devient réalité
A quoi bon essayer de s'exprimer, quand Goethe chante pour vous?
Une caractéristique de toutes ces pièces, est qu'elles sont relativement compréhensible, du moins au premier degré, bien que les arrières-plans en soient difficilement accessibles. En revanche la poésie contemporaine est abstraite. On en ressent confusément la beauté mais sans être certain que l'autosuggestion ne joue pas. Il est évident qu'on ne peut rester sur la première impression. Il doit bien y avoir un réseau de connotations qui sous-tend ces mots à la séquence improbable donc riche en information. En voici un exemple puisé dans Retour Amont (Gallimard 1966) de mon préféré, René Char.
Effacement du peuplier
L'ouragan dégarnit les bois.
J'endors, moi, la foudre aux yeux tendres.
Laissez le grand vent où je tremble
s'unir à la terre où je croîs.
... ... ...
Comment voulez-vous par vos propres moyens décoder ce texte sybillin ?
On peut certes émettre quelques remarques peut-être fortuites.
1.
Les mots utilisés ont des connotations multiples relatives à un orage.
Ouragan, foudre, grand vent, portent l'orage.
Dégarnit, je tremble, s'unir à la terre.effacement, sont associés aux conséquences de l'orage
aux yeux tendres, j'endors, est un oxymoron destiné à amadouer la colère des éléments.
Peuplier, je croîs : c'est l'énoncé du personnage.
La terre où je croîs, désigne le lieu et le sujet
2.
Les juxtapositions de mots sont inattendues, elles ont de ce fait une grande charge d'information. Par exemple : J'endors, moi, ma foudre aux yeux tendres.