Bruno Lussato

Où gaspillage se conjugue avec avarice

Or la pratique quasi universelle des entreprises, y compris celles qui légitimement s'insurgent contre la distribution de cadeaux sans répondant, coïncide exactement avec celle de la cagnotte brisée.

Je discutais avec des managers d'un rang élevé qui se plaignaient de la contradiction étalée entre l'exhortation à investir à long terme et celle de "faire du chiffre" à court terme. La firme de ponctions en ponctions sur l'outil de travail, c'est à dire l'entretien des bâtiments, la qualité du service, la propreté, la précision, était parvenue à traire la vache à lait de telle sorte, qu'elle devenait de moins en moins rentable. Deux courants alors s'opposèrent, d'une part les managers qui réclamaient un outil de travail réhabilité pour devenir concurrentiel, d'autre part les actionnaires qui ne pensant et ne calculant à très court terme réclamaient toujours plus de résultats. Entre les deux, des courtisans flattaient les actionnaires harcelant sans cesse les opérationnels pour qu'il continuent à pomper de la substance de la firme, des sommes considérables au détriment du futur.

J'allai voir le président de la firme qui autrefois avait bénéficié de mon enseignement. Il était plongé dans un état de schizoïdie avancée. Les actionnaires étaient satisfaits, ils continuaient d'amasser un tas d'or à peine inférieur à celui des années précédentes, tout en criant misère. Les managers, nul ne les écoutaient en haut lieu. Certes les résultats étaient depuis longtemps orientés à la baisse, mais il ne venait à aucun actionnaire de se demander pourquoi. Il étaient en train de vider la cagnotte à leur profit, mais tous les ans sa capacité de reconstitution diminuait.

La suspicion bureaucratique

Pour compléter le tableau, il faut noter la séparation entre les opérationnels, ceux qui font l'argent et qui travaillent, bouseux rudes et peu diplomates, et ceux qui le contrôlent et en disposent comme d'un bien propre : les bureaucrates. Le postulat de départ est que la base est bête, malhonnête et paresseuse. Il faut s'en méfier et la harceler pour que la moindre parcelle d'autorité, la moindre dépense discrétionnaire passe par les fiches caudines des contrôleurs du siège. Ceux-là sont intelligents et perspicaces, integres et travaillent sans relâche à empêcher les autres de travailler. Il cherchent la petite bête, et mettent l'entreprise en un perpétuel état de défensive. Cette ambiance de suspicion mine le climat de l'entreprise et pousse les travailleurs à accueillir avec satisfaction les cadeaux de Nicolas Sarkozy. La boucle est bouclée.