Onzième livraison
Séquence 227 de l’Entretien
Catharsis
Note. Dans le manuscrit original calligraphié, certains textes sont superposés comme un contrepoint musical. On a cherché ici un équivalent en imprimant en noir gras le texte principal, en brun et italique, le texte qui établit un contexte ou l'entoure d'une résonance sans toucher à sa signification.
Famulus parut décontenancé. – Ce que le professeur a dit, c’est pour votre bien. En tant qu’expert des choses de la vie et de la mort, il a voulu vous venir en aide. En méprisant ses avis, vous vous coupez du seul lien qui vous rattache encore à votre père. Pis que cela, nous rejetez les messages que son amour vous adresse de l’autre côté de la mort et vous offensez le médiateur plein de sollicitude qui par fidélité à la parole donnée s’efforce de vous protéger. Votre vie, votre sécurité, comment pourrait-il les sacrifier à la coupable tranquillité des assassins de votre sang ? Votre nature vous pousse à l’acte contre nature : la non assistance à une personne en danger ; le fils adoré de Lars Hall, Lars Hall troisième du nom. Le bonhomme s’arrêta net comme s’il a avait épuisé ses réserves d’éloquence … et d’air vital. Emporté par son flot de rhétorique, il s’était enflammé ; Mais en scrutant l’expression du suédois il fut à nouveau désemparé. Le grand blond balançait à nouveau ses longues jambes, son visage lisse était dénué d’expression. Il se taisait. Enfin il se leva et se prépara à quitter la salle sans un mot, sans un geste d’adieu. Il allait franchir le seuil quand il lança :
- Ah, j’oubliais, ce n’est tout de même pas pour me parler de mes affaires familiales que vous m’avez attiré dans ce trou sombre… n’aviez-vous pas quelque chose à négocier ? Ce pourquoi je suis venu jusqu’ici ?
- Tu n’as pas tort mon garçon, répondit le professeur d’un ton bonasse, je me préparais en effet à te céder le coffret qui a excité à juste titre ta jeune convoitise, mais tout bien pesé, et après t’avoir écouté,Les yeux du professeur étaient comme des trous d’ombre inexpressifs,
je me suis ravisé. Il ne sera d’aucune utilité pour celui qui prompt à ses lèvres minces bougeaient à peine. tendre l’autre joue, ne rêve qu’à une médiocre existence de boutiquier. Pendant que le maître prononçait ce qui ressemblait fort à une sentence,
Je me suis trompé sur ton compte, Famulus en porte la responsabilité,
son disciple ne quittait pas des yeux le jeune homme.
qui chantait tes louanges.Il avait rougi violemment à la parole « boutiquier » mais serra les poings à l’allusion à son éducation En outre, tu manques d’éducation et de classe. Ce n’est pas ton père qui m’eût humilié ainsi.. Famulus était entraîné à déceler ces indices subliminaux. Partir sans saluer, passe encore, mais me prendre pour un marchand de La splendeur physique du suédois l’avait rassuré. Les êtres aussi beaux, tapis roué et manipulateur, cela passe la mesure. Les papiers de ton sains, calmes et robustes inspirent instinctivement confiance .
père, je les détruirai. Lui aussi se faisait des illusions. Il vient de mourir
Mais les muscles de son cou gonflaient, les avant-bras durcissaient,
une seconde fois. Le coffret attendra comme Excalibur celui qui le
, les puissants pectoraux saillirent comme d’un cygne en colère, les yeux étaient méritera, de la dimension de ceux qui ont accompli de grandes choses. clairs comme sous l’empire d’une drogue. Il allait répondre à la provocation Adieu. et attaquer comme un mastard quand le professeur s’appuyant au rayonnage, le fit basculer.
Et il disparut comme il était venu.
Point rassuré par la dérobade du professeur, Famulus fixait les larges épaules de lutteur de ce lui qui venait de subir un cruel camouflet. Le gars était incontestablement orgueilleux et méfiant, un coléreux introverti de la pire espèce, et à présent, il le sentait, il allait se défouler en se vengeant sur tout ce qui se trouverait à portée de ses poings. Famulus fixait les avant-bras de Lars, qui fixait le rayonnage qui en basculant avait repris sa place. Il se retourna au moment précis ou le secrétaire particulier allait esquisser un mouvement de repli vers la porte d’entrée. Le cœur du bonhomme battait la chamade : il n’avait aucun courage physique. Il leva les yeux sur la silhouette massive qui s’approchait de lui à pas lents. Famulus ne put réprimer un geste de stupéfaction : des larmes d’enfant coulaient sur le visage contracté par le désespoir. Lars essayait de s’exprimer, mains ne trouvait ni le souffle, ni les mots, sa gorge serrée ne laissant de place ni pour l’un ni pour les autres.
Alors, Famulus le desséché, ressentit malgré qu’il en eût, une profonde compassion pour ce désarroi muet. Sans réfléchir il saisit la main droite du jeune homme entre les siennes, blanches et sèches, minuscules dans le battoir énorme et humide du colosse.
Je suis désolé, balbutia le bureaucrate, devenu presque humain. Il n’aurait pas dû vous parler ainsi. Le professeur a voulu sans doute vous réveiller, faire émerger toute cette douleur qui sommeille en vous et la convertir en actes de gloire et de puissance. Et qui a la puissance, la richesse et la beauté, n’est jamais seul, contrairement au dicton destiné aux impuissants, aux impécunieux et aux disgracieux. Le professeur vous aime, j’en suis sûr. Il connaît de votre père dont il était l’unique confident, le triste parcours. Lars Hall II n’a pas voulu aliéner vos souvenirs de jeunesse, les empoisonner par une vérité cruelle et stérile. Aujourd’hui votre père a estimé post mortem, que le moment était venu – si je puis dire – pour la révélation, mais il ne pouvait prévoir l’offense que vous avez infligé à celui qui vous a tendu la main. A présent vous êtes seul, bien seul, tout à fait seul, face à l’adversité. Vous m’en voyez désolé, sincèrement désolé.
- Que puis-je faire pour me faire pardonner, implora Lars. Comprenez-moi. J’ai toujours été assailli par des avides. La révélation du carnet et de l’enveloppe, était si inattendue, si mélodramatique, que je me suis senti manipulé. Que l’on ait pu utiliser l’amour que je porte à mon père, pour me manœuvrer, est un soupçon qui m’a mis hors de moi, et puis… je dois l’avouer, le déteste les intellos, les soi-disant donneurs de leçons. J’ai toujours séché l’école, et voici qu’un prof me gronde comme un potache débile !
Le garçon sentant la sympathie de Famulus s’enhardit et sourit faiblement.
- Allons, sèche tes larme de héros, tu es excusé !
Le professeur trônait à nouveau derrière son bureau. Lars ne put s’empêcher de rire à cete nouvelle apparition théâtrale, puis il s’assombrit, craignant d’avoir indisposé son hôte.
- J’ai voulu te faire sortir de tes gonds, déclara paisiblement Necromonte, t’éprouver.
Je vais t’aider. Viens avec moi. Je vais t’expliquer le contenu du coffret et éveiller les arcanes qui y sommeillent. Après quoi, tu iras au Plaza, à New York, où tu occuperas la suite désignée sur cette carte et non celle que je t’ai précédemment mentionnée. Tu t’inscriras à la Columbia University, auprès du professeur Hanslin.W.Joran, et quand tu sentiras le danger se rapprocher, l’impasse te cerner, tu ouvriras la seconde enveloppe que je vais te confier. Mais pas avant que cela ne soit vraiment nécessaire.
Lars suivit son mentor derrière le rayonnage, et se trouva face au véritable bureau du mystérieux Armin Necromonte. C’était une pièce carrée, aux parois en métal laqué, éclairée par une baie translucide et garnie d’une table métallique et de deux sièges d’aluminium. Sur la table trônait le coffret.
Six heures plus tard, Lars, fils de Lars, se retrouva dans la foule grouillante de Chantown. Son plan était tracé.
Il le suivit.