L'homme qui savait parler aux plantes en pot
Marina Fédier, Frédéric Bonnet et moi-même nous sommes rendus à l'Hôtel Montalembert où réside le grand artiste. C'est un géant débonnaire, très gentil, coopératif et simple comme savent l'être les américains. Un de mes amis, journaliste d'art classe, comme Bonnet, les artistes en trois catégories. Dix pourcents environ sont comme Baldessari, heureux de dialoguer et d'aller plus loin dans la conversation. L'ami en question cite aussi des artistes d'un abord difficile mais qui au hasard de leur humeur peuvent se montrer expansifs. Enfin il y a les grincheux comme un certain Bernard Frize qui répond toujours invariablement à toutes les questions par un "ça ne m'interresse pas" tantôt dédaigneux, tantôt condescendant. Un des pires est cependant le grand Richard Serra. Tous les journalistes qui ont obtenu une intervew vous diront qu'une heure passée avec lui, vous plombe toute la journée!.
L'homme et l'artiste
Baldessari a toujours laissé auprès de ses élèves de l'UCLA le souvenir d'un formidable professeur et il a toujours ce charisme, cette jeunesse de caractère qui soutiennnent une oeuvre toujours jaillissante et qui a marqué beaucoup de gens. A soixante dix ans, il continue à produire de nouvelles choses. Son esprit en ébullition ne s'arrête jamais.
Ci-dessous Marina Fédier, John Baldessari, Frédéric Bonnet
Baldessari est un homme généreux, soucieux de partager son savoir et ses intuitions. Il faut reconnaître cependant qu'entre Bonnet et lui, il y avait des atomes crochus. Ils ont déploré l'état lamentable de la formation artistique dans notre pays, et évoqué par contraste la haute qualité des universités américaines, l'émulation, l'enthousiasme et le déferlement créateur qui emporte tout. Les allemands se défendent bien mais en ce moment on redécouvre aux Etats-Unis l'art latino américain et notamment Mexicain où dorment des trésors artistiques formidables.
Baldessari est entouré de jeunes, qui le motivent et lui donnent une énergie qu'il restitue, ce qui explique sa fraîcheur. En ce moment il nous explique "le cheval" qui occupe le fond de l'expo chez Mary Goodman et qui n'est pas du tout un cheval. C'est un rectangle jaune portant une trace rose en relief et collé au mur. C'est un bas relief qui représente un torse d'homme couché, mais qui rappelle le pied d'un cheval.
John Baldessari,
Bruno Lussato,
Frédéric Bonet
au Montalembert
Comme promis, j'ai demandé des explications à l'artiste concernant les films qui me paraissaient incompréhensibles.
La plante en pot
A l'exposition Los Angéles - Paris, on vous a montré en train d'apprendre un alphabet à une plante verte. Cela signifie quoi?
JB - J'ai essayé plusieurs fois depuis, mais elle n'a rien appris !
Le thermomètre et le sablier
On voit le mercure du thermomètre monter jusqu'au maximum pendant que le sablier se vide. Quelle est la signification de cette séquence.
JB - J'étais photographe et je n'avais pas les moyens d'avois un aide. Je faisais tout moi-même. J'ai compris le rôle crucial du temps dans l'élévation de la température sous l'effet des spots.
- Peut-on dire de manière plus générale, que l'on ressent l'identité entre l'écoulement du temps et la dégradation de l'univers, qui est entropie, donc chaleur?
JB - Oui. Il me semble qu'on peut dire ça.
Etre peintre en bâtiment
Tous les jours vous peignez entièrement une pièce d'une couleur différente.
JB - Oui. Je montre qu'il n'y a pas de différence essentielle entre peindre un mur et peindre une toile. Je décide simplement que ça va être une oeuvre, et ça l'est. Je peins tous les jours, sauf le Dimanche, où comme Dieu, je me repose.
Quel est votre médium?
Je ne fais pas de la peinture, mais je m'intéresse à tous les médiums. J'ai fait de la photographie, des installations, de la vidéo, de la peinture et de la sculpture. Mais ce sont des catégories bien distinctes. Je vais maintenant vers la sculpture.
Que pensez vous de la démarche du livre : exclure le maximum d'artistes pour lutter contre le trop plein?
JB C'est délicat. Mais dites-moi qui avez vous mis?
- Richard Serra, Bill Viola, Annette Messager, Gerhard Richter, Mike Kelly, Mc Carthy, Bruce Newman, Ed Ruscha... et vous...
JB - Qui d'autre? Avez-vous pensé à Sigmar Polke et à Sol Lewitt? Et je n'aime pas cette distinction, il y a des classiques qui sont aussi novateurs. Tous les grands sont classiques.
- Soulages appartient-il à notre époque?
JB - Non. C'est un classique.
- Vous voyez bien
JB - Oui, et je n'aime pas Hockney.
- Lewitt est mort, et puis on a enlevé les classiques comme Kiefer.
JB - Polke est le plus grand des artistes. Et il est vivant.
- Et Messager?
JB - Oui. Pas Buren.
- Jeff Koons?
JB - Ses peintures sont nulles. Mais il y a de bonnes sculptures. 10 % de la production environ. Les autres sont des horreurs ! 90% de garbage (d'ordure).
- Murakami?
JB - C'est un phénomène de mode. Cela devient de l'art industriel.
Marina intervient : Mais je ne comprends pas Mc Carthy.
JB - C'est brutal comme la vie elle-même. Il n'y a rien à comprendre. C'est sous vos yeux. Il n'y a qu'à regarder.
Et puis, il y a un jaillissement mondial extraordinaire. Aus Etats-Unis on redécouvre l'abstraction, on regarde à nouveau les production du Mexique, de la Colombie.
Quelle oeuvre sélectionner pour le livre? Avez-vous une préférée?
JB C'est une mauvaise question. Vous devez la choisir. Pour moi, mes oeuvres ont mes enfants, je ne fais pas de préférence.
Bruno Lussato : lorsque j'étais jeune, il n'était pas difficile de choisir. Les grands étaient identifiés, sans parler des Picasso. Tàpies, Hartung, Poliakoff, Dubuffet, étaient à la portée de toutes le bourses. Etudiant, touts les ans avec mes économies, j'achetais un petit Tàpies, un bel Hartung... Aujourd'hui on est noyés.
JB - Ce qui détruit tout c'est l'argent. Le pire c'est encore les Hedge Funds. La mode également joue un rôle désastreux. Il y a deux ans on portait Schnabel aux nues, aujourd'hui, nul n'en veut plus.
B.L. Que pensez-vous d'un collectionneur comme Pinault.
JB - Il est venu me voir dans mon studio, flanqué d'une certaine Allison Gingeras qui le conseille sur ses achats. Elle prétend renouveler un discours sur l'Art.
B.L. Un des critiques m'a dit qu'elle a été engagée comme commissaire d'exposition pour Pinault. Elle fait illusion car elle a la langue bien pendue, et elle surfe sur la mode, elle se donne des airs de branchée, et c'est la tendance qu'elle infestibule au milliardaire. D'où au milieu de très bonnes oeuvres, de véritables horreurs. Comment est-ce possible? Au cours de années soixante, le collectionneur Ludwig a fondé deux musées exemplaires, avec les plus beaux Rauschenberg, Jasper Johns, Warhol... rien que des oeuvres de référence et pas une pièce médiocre. On peut en dire autant de marchands comme Berggruen ou Bayeler. Pourquoi autant d'ordures discréditant des pièces de première qualité?
JB - Pinault n'est pas un collectionneur, c'est un marchand. Il possède Christie's, de nombreuses galeries dont celle de Bill Viola à Londres, il manipule le marché en surfant sur la mode, l'argent et le mauvais goût. Et les gens suivent. Quand il est venu me voir, il cherchait des choses chères, les plus chères, comme si la beauté dépendait du prix ou de la dimension.
B.L. Avant on évaluait le prix de l'oeuvre au point. Plus c'était grand plus c'était cher. On n'avait pas d'autre critère marchand. Le temps remettait tout cela en place.
JB - Oui? C'est comme si on évaluati un Cezanne au nombre de pommes peintes sur le tableau. " Voulez-vous me livrer deux pommes s'il vous plait? Je n'ai pas les moyens de m'en payer une demi-douzaine !"
On conclut en évoquant la grande retrospective de 2009 à Londres, qui viendra ensuite à Paris.